La main, fruit tardif de l'évolution,
constitue un sommet dans la finesse et la coordination des mouvements. Le chimpanzé,
tout comme d'ailleurs nos ancêtres australopithèques d'il y a 4 millions
d'années, ne peuvent opposer le pouce qu'à l'index. Ce n'est que
chez Homo sapiens que le pouce, plus long, devient opposable à tous les
autres doigts, rendant possible une saisie encore plus fine et précise.
En fait, à partir de données recueillies sur des mains fossiles,
on pense que cette prise de précision serait apparue avec Homo erectus
il y a environ 1,8 millions d’années.
Outre l'opposition
entre le pouce et les autres doigts, la dextérité de la main humaine
vient aussi de l'indépendance de mouvement entre les doigts. Cette dextérité
contribue grandement à la variété des mouvements de préhension
: on ne saisit pas de la même manière l'anse d'une tasse à
café, un stylo et le manche d'un marteau.
Il nous est difficile
de s’imaginer la complexité des problèmes que le cerveau doit
résoudre pour coordonner la simple prise d’un objet. La main doit
d’abord être amenée à proximité de l’objet.
Il faut aussi déterminer la forme de la prise, son orientation, ainsi que
la force à appliquer à l’objet pour ne pas qu’il nous
glisse entre les doigts.
Pour coordonner le très grand nombre de
muscles qui concourent à ce mouvement, le système nerveux s’alimente
d’indices visuels sur la localisation de l’objet dans l’espace,
son orientation, sa forme, sa taille, son poids et sa texture anticipée.
Nicolas de Largillière (1656-1746) Étude
de mains
Des analyses cinématographiques
de nombreux gestes ont permis de caractériser les grandes étapes
du mouvement de la prise d’un objet. Le déplacement de la main jusqu’à
l’objet dure, selon les sujets et les circonstances, entre 400 et 800 millisecondes
(ms). Il débute par une forte accélération qui atteint son
pic en 150 ms environ et amène une vitesse maximale 100 ms plus tard. Après
un pic de décélération suit une phase à vitesse lente
et décroissante jusqu’à ce que la main s’arrête
à proximité de l’objet. La forte accélération
initiale permettant de parcourir rapidement la plus grande partie de la distance,
la main passe près de la moitié du temps du mouvement au voisinage
immédiat de l’objet.
La prise proprement dite est très
complexe puisqu’elle comporte de nombreux degrés de liberté
: flexion ou extension des doigts, position de chaque phalange, écartement
des doigts, rotation du pouce pour réaliser l’opposition… À
noter que durant le mouvement d’approche, les doigts s’écartent
jusqu’à un maximum qui est plus large que l’objet, puis leur
mouvement s’inverse pour se refermer progressivement sur l’objet.
À
cette phase « visuelle » fait suite une phase « tactile »
qui commence même un peu avant que les doigts entrent en contact avec l’objet
: la force de saisie est calculée selon le poids et la texture anticipée
de l’objet. Elle sera par exemple plus importante pour une surface lisse
que rugueuse. La pression que l’on exerce sur l’objet à son
contact est donc déterminée à partir d’indices visuels
qui renvoient à des connaissances préalables de cet objet (ou d’objets
similaires) emmagasinées dans notre mémoire.
La force ascendante
qui, elle, permet de soulever l’objet n’intervient que 100 ms environ
après le contact. Si l’on augmente le poids de l’objet en cours
de prise (en ajoutant de l’eau dans un verre par exemple), la force de saisie
et la force de soulèvement augmentent de façon synchrone grâce
à des signaux tactiles transmis par des récepteurs cutanés
présents dans la pulpe des doigts.
Eadweard Muybridge (1830-1904) Mouvement de la
main dessinant un cercle (1887)
Finalement, la plupart
des chercheurs qui essaient de comprendre cette coordination complexe qui nous
permet de saisir des objets sans les échapper s’accordent sur les
faits généraux suivants :
- Les mouvements de déplacement
du bras et de préparation à la saisie par la main débutent
ensemble : les doigts commencent à s’ouvrir dès que le bras
s’accélère.
- L’arrêt du déplacement
du bras est programmé et non déclenché par le contact avec
l’objet : la vitesse du bras se trouve en effet voisine de zéro au
moment du contact.
- Les doigts commencent à se refermer au début
de la phase à vitesse lente du déplacement du bras.