(le « de »
en avant, c’est parce que ça fait plus philosophique…)
Durant la demi-heure qui
suit, je vais donc vous parler du cerveau et de quelques concepts utiles pour
comprendre un peu mieux son fonctionnement.
L’une des choses qui nous
vient immédiatement à l’esprit quand on parle du cerveau, c’est qu’on
n’utiliserait qu’environ 10% de ses capacités. Vous avez
sûrement déjà entendu ça ? La grande
question que j’aimerais vous poser ce soir est la suivante :
pensez-vous que cette « règle du 10% » s’applique aussi au cerveau des philosophes ?
Est-ce qu’il y en a qui pensent
que les philosophes doivent bien en utiliser au moins 50% de leur cerveau ? Y’en as-tu qui monterait jusqu’à 90% ? Des abstentions ?
J’avoue que la question
était un peu piégée et montre que le
mythe du 10% est très tenace. J’ai bien dit le mythe, parce qu’affirmer qu’on n’utilise que 10, 50 ou même 90 %
de notre cerveau n’a pas plus de sens
pour un neurobiologiste que de dire que la terre est plate ou que Georges W.
Bush veut le bien du peuple irakien…
Or le fait que ce mythe a pu
être intériorisé par une grande partie de la population est un exemple de ce
que j’appellerais avec un tantinet de provocation : « l’analphabétisme neurobiologique ».
Dans cet esprit, le
véritable titre de ma présentation serait plutôt :
Je
ne suis pas sûr que l’on puisse donner une définition objective et
opérationnelle de « l’analphabétisme
neurobiologique », mais en gros ce serait par exemple de ne pas savoir distinguer le tronc cérébral du
cortex ou de ne pas avoir la moindre
image mentale qui surgit lorsqu’on entend les mots neurone, synapse ou neurotransmetteur, mots qui sont l’équivalent
de maison, table ou chaise pour la personne le moindrement neurobiologiquement
lettrée !
Comment alors essayer de comprendre
comment on voit le monde, comment on en prend conscience et comment on s’en
souvient quand l’explication neurobiologique la plus simple que l’on peut
imaginer va forcément faire appel à cet alphabet de base qui nous est peu
familier ?
Une des raisons qui explique
cette négligence, c’est, je crois, que les gens ne s’imaginent pas tous ce que
les sciences cognitives, et en particuliers les neurosciences, ont accumulé
comme savoir sur le cerveau depuis
les dernières décennies, même si c’est encore très peu devant la complexité de
l’objet en question.
Ce que je voudrais donc
faire avec vous durant le demi-heure qui vient, c’est d’essayer de vous présenter quelques uns de ces concepts
neurobiologiques qui sont aussi certains que la terre est ronde… Pour
m’aider, je vais utiliser le site web
que je rédige maintenant depuis 4 ans et qui s’appelle :
dont
l’adresse est indiquée ici, ainsi que sur les dépliants que vous pourrez
prendre là-bas si vous voulez y retourner après la présentation, ce que je
vous encourage évidemment à faire. Parce que en une demie-heure,
vous vous doutez bien que je ne pourrai qu’effleurer le sujet, mais j’espère
que ça vous donnera le goût de retourner lire sur le site pour en savoir plus.
On va donc aller ici sur le
vrai site ici :
[Utiliser le navigateur pour
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https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/index_i.html
Comme vous le voyez, le site
est subdivisé en 12 grands thèmes qui couvrent à peu près tous les aspects des
comportements humains : mémoire, plaisir, douleur, émotions, etc.
Voilà donc une première
chose sur laquelle j’aimerais attirer votre attention : l’incroyable diversité et dextérité des
comportements humains, tous issus des commande de notre système nerveux
central.
Prenons le seul fait de marcher par exemple : avez-vous
déjà vu les robots qui essaient de marcher ? C’est assez catastrophique. On est
pas mal loin de
C’est vrai que certaines fonctions qui font appel à
des opérations logiques ont été
égalées et même dépassées par les ordinateurs et leur vitesse de calcul devenue
très grande, mais il y a énormément de
choses que l’on fait sans même en avoir conscience et qui tienne du miracle
technologique encore jamais égalé.
Par exemple, en ce moment
même, vous êtes en train de me regarder
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_02/a_02_cr/a_02_cr_vis/a_02_cr_vis.html#2
Les cellules de la rétine de
vos yeux captent donc différentes intensités lumineuses qu’elles transmettent
sous forme d’influx nerveux à certains
relais qui vont vous permettre par exemple de me suivre des yeux, ou encore
d’envoyer ces signaux tout en arrière du cerveau, au cortex visuel qui va décoder l’information et vous faire prendre
conscience de la scène visuelle.
Vous êtes aussi en train de m’écouter,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_10/d_10_cr/d_10_cr_lan/d_10_cr_lan.html#2
c’est-à-dire que votre cerveau
décode les vibrations aériennes
produites par ma voix que votre oreille
interne traduit en impulsions nerveuse, impulsions qui parviennent d’abord
à une région cérébrale impliquée dans la compréhension du discours. Si vous
voulez ensuite poser une question sur
ce que vous venez d’entendre, vous devrez solliciter une autre aire corticale plus frontale impliquée dans la production du
langage ici, et ensuite l’aire motrice
qui va éventuellement faire se contracter vos muscles respiratoires et vos
cordes vocales pour poser votre question. Je vous invite d’ailleurs à activer
ces aires de la parole dans la deuxième demi-heure consacrée à un échange avec
vous.
Peut-être aussi la
compréhension de mes propos activera-t-elle une petite structure appelée amygdale cérébrale
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_04/d_04_cr/d_04_cr_peu/d_04_cr_peu.htm
que l’on voit ici en rouge
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_04/a_04_cr/a_04_cr_peu/a_04_cr_peu.htm
ou encore ici, et qui vous fera, en tant que
philosophe, me percevoir comme une menace
sur votre territoire intellectuel. Votre cerveau ne fera alors pas de différence entre un mammouth de l’époque de
l’âge de pierre et ma chétive personne et commandera rapidement, par l’entremise
d’autres structures cérébrales, une réponse émotionnelle accompagnée de
changements hormonaux dans tout votre corps pour fuir ou lutter contre cette
source d’agression. J’espère juste que vous allez réussir à inhiber votre
action juste assez pour me laisser finir mon speech, mais pas plus longtemps
car on va voir que ce n’est pas bon pour la santé de rester longtemps dans un
état d’inhibition de l’action…
On va donc choisir le
premier thème ici qui donne un aperçu général de l’anatomie du cerveau,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_cr/d_01_cr_ana/d_01_cr_ana.html
pour mentionner au
passage une particularité de ce site web qui est de s’adapter au niveau de connaissance de son utilisateur grâce à la
boîte des niveaux d’explication ici. Tous les sujets traités dans le site sont
donc toujours expliquées trois fois : d’abord au niveau débutants, puis intermédiaires, puis avancés.
Ici on est au niveau débutant, celui qui
correspond en gros à notre fameux « analphabétisme neurobiologique »,
où on se limite à vous présenter quelques concepts simples comme le fait que le
cerveau est formé de deux hémisphères
qui s’occupent en générale chacun d’un côté du corps (Sauf que le contrôle est croisé : l'hémisphère
droit s'occupe du côté gauche du corps et vice versa !)
Votre cerveau
est donc pas plus gros que ça (mettre mes 2 poings ensemble).
Sa partie extérieure toute plissée, c’est ce qu’on appel le cortex. Si on pouvait déplier le
cortex, sa surface serait à peu près grande comme les deux pages d’un journal.
(sortir le Couac) Alors si je prends un journal quelconque, comment je peux
faire pour le rentrer dans notre boîte crânienne ? En le repliant sur lui-même,
tout simplement… (le chiffonner)
Maintenant, vu de côté, un
cerveau ça ressemble à peu près à ça : (l’animation et les 4 lobes). On y distingue 4 grands lobes :
le lobe frontal qu’on a vu tantôt en parlant de la motricité; le lobe pariétal impliqué entre autre dans le toucher ou la douleur; le lobe
temporal, fortement impliqué par exemple dans la mémoire; et le lobe occipital, impliqué comme on l’a vu dans la vision.
Ce qui m’amène à introduire
un premier concept neurobiologique utiles pour les philosophes qui causent ontologie, à savoir que :
C’est-à-dire que pour
exécuter ses nombreuses fonctions, le cerveau possède différentes
structures bien distinctes et
reliées entre elles.
Pour élaborer un peu
là-dessus, on va maintenant passer au niveau intermédiaire où se trouve un schéma d’une coupe sagittale de cerveau
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_01/i_01_cr/i_01_cr_ana/i_01_cr_ana.html
On voit donc que, même au
niveau macroscopique, le cerveau possède de nombreuse structures (qui viennent pour la plupart par paires…) aux
noms et aux formes aussi bizarre que : (cliquer sur chacune)
Le thalamus, l’hypothalamus, le
cortex (que l’on a vu tout à l’heure), le
corps calleux, le cervelet ou le tronc cérébral.
La moelle épinière, qui est
coupée ici, est cette partie du système nerveux central qui descend au centre
de votre moelle épinière et d’où partent les
nerfs sensoriels et moteurs. Donc le corps et le cerveau sont intimement
reliés. Mais ça on y reviendra…
Donc, comme un enfant de 4
ans sait distinguer les différentes parties du corps (bras, coude, épaule, etc), l’honnête citoyen « en voie d’être neurobiologiquement lettré » ne devrait pas être
surpris de constater, à plus forte raison pour un organe aussi complexe que le
cerveau, qu’il est formé de nombreuse
structures identifiables…
Si on va au niveau avancé maintenant,
c’est-à-dire en rouge suivant notre code de couleur :
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_01/a_01_cr/a_01_cr_ana/a_01_cr_ana.html
On peut voir l’objet en
question… La vraie affaire…
Un cerveau c’est un peu plus
de
On a donc ici un premier
indice de la fausseté du mythe du 10% :
si le cerveau déciderait d’utiliser les 90 % restant, il devrait augmenter de 180
% l’énergie nécessaire à son fonctionnement. Je me demande bien où il irait
chercher ça…
Passons maintenant au :
C’est-à-dire du milieu du 18e,
au milieu du 19e siècle à l’époque de Franz
De nos jours, on dispose de
nombreuses techniques d’investigation des fonctions cérébrales, des outils
comme l’imagerie cérébrale qui permettent
maintenant de voir non seulement à l’intérieur du cerveau, mais de voir le
cerveau en train de travailler
lorsqu’il exécute différentes tâches.
L’imagerie cérébrale, c’est
donc, pour le neurobiologiste, l’équivalent du télescope pour Galilée ou du
microscope pour Pasteur…
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/experience_jaune04.htm
Vous voyez ici, comme le
disait un de mes amis, « mon encéphale disponible sur Internet »,
alors que j’ai participé à une étude de
cartographie fonctionnelle il y a quelques années à l’Institut neurologique
de Montréal.
[Descendre jusqu’aux tâches
de main et de verbe]
Les études d’imagerie cérébrale ont entre autre permis de révéler les grandes variations inter-individuelles
dans le fonctionnement du cerveau. Ça veut dire que pour une même tâche,
différents sujets peuvent solliciter différemment leurs circuits de neurones,
en particulier ceux du cortex. (comme on voit ici)
On en arrive au troisième
concept qui est :
Autrement dit, ce cerveau a une longue histoire qui
permet entre autre de comprendre ses formes bizarres et la position particulière
de ses différentes parties les unes par rapport aux autres.
Pour comprendre d’où vient notre cerveau
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_05/i_05_cr/i_05_cr_her/i_05_cr_her.html
on peut regarder le cerveau des autres espèces animales
existantes, qui sont apparues depuis
plus longtemps que nous, et voir ce qui a changé. Déjà on voit certaines
tendances qui se dessinent, par exemple au niveau de l’augmentation des circonvolutions du cortex qui traduit une plus
grande surface corticale.
Maintenant, si notre cerveau
est construit sur le même modèle que celui des autres animaux, on peut se
demander qu’est-ce qui est
spécifiquement humain dans le cerveau humain ?
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_05/d_05_cr/d_05_cr_her/d_05_cr_her.html
Au début des années 1970, le
neurobiologiste américain Paul MacLean propose son
fameux modèle du cerveau triunique qui met en évidence la cohabitation à
l’intérieur de la boîte crânienne de structures plus ou moins anciennes phylogénétiquement.
En gros pour MacLean, le cerveau humain comporterait en fait 3
cerveaux : un cerveau « reptilien »,
comprenant le tronc cérébral et le cervelet et assurant les fonction
physiologique de base comme la respiration, le rythme cardiaque, l’équilibre, etc; un cerveau « limbique »
ou mammalien, apparu avec les premiers mammifères et permettant une mémoire
détaillée des événements gratifiants et douloureux, donc un affect, des
émotions; et finalement un « néocortex »
ou simplement cortex, qui est le siège des fonctions humaines dites supérieures
comme le langage, le raisonnement logique, la créativité ou la conscience.
Si l’on regarde maintenant
un peu plus en détail comment a évolué ce cortex,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_05/i_05_cr/i_05_cr_her/i_05_cr_her.html
on observe une importance croissante des aires associatives du rat à
l’humain, en passant par le chat. On appelle « aires associatives », toutes
les régions qui ne sont ni sensorimotrice (en vert); ni visuelle (en rouge), ni
auditive (en bleu).
Donc de plus en plus on voit émerger du cortex qui
ne fait ni du traitement sensoriel, ni du contrôle moteur, mais du cortex dit « associatif » qui
s’émancipe de ces fonctions de base et va pouvoir servir à des fonctions « supérieures » comme le
langage et la rationalité si chère aux philosophes.
Si l’on regarde maintenant
encore plus dans le détail l’évolution de ce cortex,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_05/a_05_cr/a_05_cr_her/a_05_cr_her.html
on peut voir que c’est la région la plus frontale du cortex, qui est dédiée au contrôle
moteur volontaire chez les autres espèces, qui connaît le développement le plus
spectaculaire lors du passage des grands singes à l’humain. C’est ce cortex préfrontal très développé qui nous
confère les capacités d'abstraction, d’imagination et de planification que
n'ont pas les autres espèces.
Chez les gens qui sont
atteint de dépression sévère par
exemple, un état qui nous enlève toute
initiative, des études d’imagerie cérébrale ont montré non seulement une baisse de l’activité du cortex préfrontal,
mais que la sévérité de la dépression était proportionnelle au degré de la
baisse d’activité du cortex préfrontal.
C’est bien beau de parler d’augmentation
de la surface corticale mais « kess ça donne
? » Eh bien ça se traduit par une plus
grande quantité de cellules nerveuses et donc par une plus grande capacité
de traitement de l’information. Parce qu’on ne peut pas parler de traitement de
l’information dans le cerveau sans parler de l’élément de base à l’origine de
ce traitement, j’ai nommé le neurone.
Pour vous en parler, je vais :
Et là on va utiliser ici
l’autre boîte de navigation qui permet de se promener dans ce site web,
c’est-à-dire la boîte des niveaux
d’organisation. En cliquant sur le niveau cellulaire, c’est comme si on prenait un microscope et qu’on
faisait un espèce de zoom in pour voir comment sont faites les cellules qui constituent
notre cerveau, i.e.
les neurones.
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_cl/d_01_cl_ana/d_01_cl_ana.html
On voit donc ici un neurone
comparé à une cellule quelconque du reste de notre corps. Qu’est-ce qu’on
remarque de particulier du côté du neurone ?
D’abord des dendrites (les « cheveux ») et puis l’axone (seul et unique) qui peut être
très long. Si l’on prend par exemple un motoneurone d’un muscle du mollet dont
le corps cellulaire est dans la moelle épinière, l’axone peut avoir près de 1m de long. Cela veut dire que si corps
cellulaire de ce neurone aurait la taille de mon porte-clé ici, son axone aurait à peu près
Ce sont les deux
particularités importantes des neurones qui les distinguent des autres cellules
de notre corps. Mais pourquoi des
dendrites et un axone ? (vous vous en doutez sans
doute…)
À date on était dans pas mal
juste dans l’anatomie (la forme),
maintenant on va aller dans un autre sous-thème
explorer la fonction des neurones (comment
ça fonctionne)
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_cl/d_01_cl_fon/d_01_cl_fon.html
La fonction première des
neurones, c’est de communiquer entre eux,
de s’échanger de l’information sous forme d’influx nerveux. C’est ce qu’on voit
ici : les neurones peuvent s’échanger de l’information en envoyant leur
axone faire des connexions avec les dendrites d’un autre neurone.
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_01/i_01_cl/i_01_cl_fon/i_01_cl_fon.html
(A) Parfois l’influx nerveux
d’un seul neurone n’est pas assez
fort pour se propager dans un autre neurone et ça lui prend l’aide d’un camarade (B) :
mais à deux, il réussissent à faire
passer l’influx nerveux ! On voit donc ici comment (non seulement l’union fait
la force, mais qu’…) un neurone peut être une unité d’intégration de différents signaux et donner un output
positif (un influx nerveux) ou négatif (pas d’influx nerveux) vers d’autres
neurones.
Il faut maintenant que je
vous révèle l’un des grands secrets du
cerveau (!): c’est que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les axones et les dendrites ne se touchent
pas pour faire passer l’influx nerveux. Il y a un tout petit espace entre
eux qu’on appelle la synapse, et
pour la voir, on va utiliser notre boîte
de navigation ici pour zoomer encore davantage jusqu’au niveau moléculaire, c’est-à-dire au
niveau des molécules avec lesquelles sont fabriquées les cellules.
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_07/i_07_m/i_07_m_tra/i_07_m_tra.html
On a ici un dessin du bout
de l’axone d’un neurone, et là le bout d’un dendrite.
Quand l’influx nerveux arrive, regardez bien ce qui se passe : des petites
molécules qu’on appelle des neurotransmetteurs
vont être relâchées dans l’espace entre les deux et certaines vont se fixer sur
des grosses molécules qu’on appelle des récepteur,
exactement comme une clé va rentrer dans
sa serrure. Et comme la clé ouvre une porte, la molécule de
neurotransmetteur va ouvrir le canal
au centre du récepteur et d’autres petites molécules vont pouvoir rentrer et ce
sont elles qui vont faire repartir
l’influx nerveux de l’autre côté. Encore une fois ? Voilà.
La grosse différence entre
l’influx nerveux qui se propage le long de l’axone et ce qui se passe au niveau
de la synapse, c’est que la propagation
de l’influx nerveux est un phénomène électro-chimique
qui est « tout ou rien »
et qui ne subit aucune modification avec l’expérience. C’est tout le contraire
au niveau de la synapse : si l’on peut apprendre des choses, c’est parce
que la transmission synaptique est très
malléable, que son efficacité se modifie avec son utilisation plus ou moins
fréquente.
Qu’en est-il maintenant de la nature exacte de la trace physique d’un souvenir dans le cerveau. Autrement
dit, qu’est-ce qui, au niveau moléculaire, au niveau de la synapse elle-même,
facilite le passage de l’influx nerveux ?
Eh bien on connaît des
mécanismes, comme la potentialisation à
long terme, qui permettent ce renforcement de
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_07/a_07_m/a_07_m_tra/a_07_m_tra.html
1- la phosphorylation
des récepteurs, c’est-à-dire l’ajout d’une molécule de phosphore au canal ici
qui va permettre à ce canal de s’ouvrir
plus facilement, ou plus longtemps,
permettant une transmission d’autant plus facile de l’influx nerveux.
2- Ou alors, grâce à une cascade de seconds messagers
dont je vous fais grâce ici justement, aller remonter jusqu’aux gènes dans le noyau du neurone pour lui dire de
produire carrément de nouveaux
récepteurs qui vont être ajoutés ici à la synapse et vont eux aussi
faciliter d’autant plus la transmission de l’influx nerveux.
La trace physique, concrète,
de tous vos souvenirs, c’est donc ça,
des boutons synaptiques hypertrophiés et des récepteurs protéiniques boostés au phosphore !
Par conséquent cette
plasticité des synapses fait que :
Ce concept de plasticité synaptique désigne donc le phénomène par lequel les circuits de
nombreuses structures de notre cerveau ont la capacité d’être modelé, au sens physique du terme, c’est-à-dire d’être soit
renforcé, soit affaibli, par l’utilisation plus ou moins fréquente qu’on en fait.
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_07/d_07_cl/d_07_cl_tra/d_07_cl_tra.html
Il se crée donc constamment dans notre
cerveau de nouvelles « assemblées
de neurones » qui vont s’associer et se mettre à fonctionner ensemble.
Lorsqu’un nouveau groupe neuronal se coordonne ainsi, une nouvelle image
mentale ou un nouvel apprentissage moteur peut surgir.
Apprendre c’est donc, pour employer le titre
d’un ouvrage du philosophe Michel Onfray, faire une
véritable « sculpture de soi », une sculpture au niveau de nos réseaux de neurones, par renforcement de
certaines connexions synaptiques.
Il faut toutefois noter que le niveau de plasticité varie selon les
structures cérébrales : La plasticité est ainsi très grande dans le cortex, région apparue plus récemment au cours
de l’évolution, mais moindre dans
l’hypothalamus ou le tronc cérébral par exemple, qui sont des régions
beaucoup plus anciennes et impliquées dans des fonctions plus fondamentales
comme la régulation de la température, la faim, la soif, etc.
Maintenant : votre cerveau
contient 100 milliards de neurones faisant
en moyenne environ 10 000 synapses
chacun avec d’autres neurones. Ça donne un nombre astronomique de circuits nerveux possible, un nombre beaucoup trop
élevé pour que nos quelques 30 ou 35 000 gènes puissent spécifier leur emplacement.
D’où notre cinquième concept :
Comment ces dizaines de
milliers de milliards de connexions font-elles alors pour se mettre en place ?
Eh bien c’est que nos
programmes génétiques vont mettre en place seulement les grandes lignes, ou si
vous voulez seulement la structure
générale de notre cerveau. Durant le
développement embryologique,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_09/a_09_cl/a_09_cl_dev/a_09_cl_dev.html
nos gènes vont coordonner un ballet complexe de migration cellulaire qui va permettre
aux différents groupes de neurones d’atteindre leur bon emplacement.
Mais ensuite il y a une
grande part de notre développement, tout le « fine tuning » des synapses, va être
sculpté par notre interaction avec le monde. On parle alors de développement épigénétique,
c’est-à-dire toute la partie du développement qui se fait « après les
gènes », surtout dans la petite enfance.
Et ce développement épigénétique se fera beaucoup par la mort des neurones, les neurones et les connexions les moins
sollicitées disparaissant progressivement au profit des plus sollicitées qui
vont se développer.
Donc, à la naissance, les grandes lignes de
l'architecture du cerveau sont définies mais la construction du cerveau est
loin d'être terminée: La grande majorité des circuits de neurones vont se
former dans les 10 -15 ans suivant la
naissance.
Et l’on peut même considérer
nos capacités d’apprentissage que nous conservons toute notre vie
comme le prolongement en permanence de ce développement épigénétique.
D’ailleurs, les mêmes protéines sont souvent à l’œuvre dans les deux
phénomènes.
À la lumière de ces notions de base du
développement du cerveau humain, plusieurs vieux débats philosophiques qui ont occupé
les philosophes pendant des siècles peuvent être revisités. C’est le cas de la question de l’innée et de l’acquis
appliquée aux comportements humains. Autrement dit, quelle serait la part de la nature versus la part de la culture dans nos comportements.
Alors que peut répondre aujourd’hui notre
honnête citoyen neurobiologiquement lettré à cette
question ?
Si on lui demande : est-ce que notre comportement est fixé par notre génétique ? Il
répondra non, car on vient de voir
que notre cerveau, qui est à l’origine de notre comportement, se structure en
grande partie grâce à des stimuli en provenance de l’environnement dans lequel
il évolue.
Et si on lui demande : est-ce que notre comportement est complètement
le fruit de notre apprentissage (i.e. que nous sommes tabula rasa à notre naissance)
? Il répondra également non, puisque
les grandes lignes des circuits cérébraux qui nous font penser se développent
suivant les plans généraux des gènes de notre espèce, qui est le fruit de
centaines de milliers d’années d’évolution.
La seule réponse possible devient
celle-ci : nos comportements sont À
Il y a toujours les deux
composantes.
Prenons par exemple le langage, aptitude singulièrement humaine s’il en est une et
outil fort utile aux philosophes.
Un être humain a besoin d’une expérience épigénétique de plusieurs années pour produire et décoder
les sons qui sont à la base de sa langue. L'apprentissage d'une langue ne peut
donc se faire que si l'enfant est exposé
aux mots de cette langue et ce, durant
une période limitée de la vie pré-pubertaire
qu’on appelle « période critique ».
Il y a donc une influence certaine de l’environnement et les quelques cas d’enfants
sauvages retrouvés à l’adolescence et n’ayant jamais eu de contact avec langage
humain n’ont jamais réussi à parler malgré tous les efforts de leur tuteur
comme le montre le beau film de François Truffault
qui s’intitule justement L’enfant sauvage.
Mais, et c’est un apport important de Noam Chomsky à la linguistique,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/outil_rouge06.html
le langage ne peut pas être seulement un
répertoire de réponses apprise à des stimuli de l’environnement puisque chaque
phrase que quelqu'un produit peut être une combinaison
totalement nouvelle de mots. Or avant l'âge de 5 ans, les enfants sont déjà capables, sans enseignement formel, de produire et
d'interpréter avec cohérence des phrases qu'ils n'ont jamais rencontrées
auparavant.
C'est cette capacité extraordinaire
d'accéder au langage malgré une exposition
très partielle aux variantes syntaxiques permises qui amena Chomsky à
formuler son argument de la "
pauvreté de l'apport ". Pour lui, si les enfants développent si
facilement les opérations complexes du langage c'est qu'ils disposent de principes innés qui les guident dans
l'élaboration de la grammaire de leur langue. En d'autres termes, l'hypothèse
de Chomsky consiste à dire que l'apprentissage du langage est facilité par une prédisposition de nos cerveaux pour certaines structures de la langue.
C’est donc ce subtil
mélange de prédisposition génétique et
de comportement appris qui fait
l’être humain. J’insiste sur l’expression « prédisposition génétique » qui est très différente
d’un « déterminisme
génétique » au sens stricte. Et ce sera mon septième concept :
Il arrive souvent que les
gens ne voient pas cette distinction importante, ce qui les amène, en
constatant les nombreux comportements humains appris, à rejeter radicalement ce
qu’ils appellent le « déterminisme
biologique », c’est-à-dire, pour eux, toute influence de nos gènes sur
nos comportements.
J’espère que vous voyez un
peu, à lumière des quelques éléments qui viennent d’être présentés ici, comment
cette position ne tient pas la route.
Il n’est pas très difficile
de trouver des comportements humains qui subissent de tout évidence une grande influence de nos prédispositions
biologiques. En général, ce sont ceux contrôlés par les structures les plus
anciennes de notre cerveau qui gèrent des fonctions
fondamentales pour l’espèce. C’est le cas par exemple des comportements qui
mènent à la reproduction de l’espèce… Y’a-t-il un meilleur exemple de la
puissance de nos prédispositions biologiques que celles qui nous poussent à
nous reproduire ? C’est d’ailleurs ce genre de prédisposition fondamentale qui
rejoint ce que notre ami Épicure appelait les besoins « naturels et nécessaires »…
Sauf qu’une prédisposition,
ce n’est pas un déterminisme strict : ça
se colore culturellement. D’où les nombreuses façons de se courtiser de par
le monde…
Une prédisposition ça se modifie et ça se contourne aussi.
Comment ? Par l’entremise des structures plus récentes de notre cerveau, comme notre
cortex, qui interagissent constamment avec les structures plus anciennes.
Car il faut bien voir que les parties anciennes et plus récentes de notre cerveau entretiennent
un dialogue constant entre
elles : des voix nerveuses les reliant se sont tissées au fil du temps, de
sorte que nos comportement sont souvent le résultats d’un échange, d’un compromis,
voire d’un combat incessant entre elles.
Si on prend par exemple un
comportement comme la peur,
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_04/d_04_cr/d_04_cr_peu/d_04_cr_peu.htm#2
Imaginez que vous marchez
dans la forêt et que vous entrevoyez une forme allongée enroulée sur elle-même
à vos pieds. Cette forme, qui évoque celui d'un serpent, va très rapidement, grâce à ce qu’on appelle ici la route
courte, envoyer un message à l’amygdale,
une structure assez ancienne du système limbique qui va mettre en branle
les réactions physiologiques de peur qui sont très utiles pour s'activer rapidement
face au danger.
Mais ce stimulus visuel va
aussi, après son relais au thalamus, parvenir au cortex, structure, vous le savez maintenant, beaucoup plus récente
du point de vue évolutif. Le cortex, grâce à sa faculté de discrimination, va
se rendre compte quelques fractions de seconde plus tard que ce que vous aviez
pris pour un serpent n'était au fond qu'un bout
de vieux boyau d'arrosage. Votre cœur va alors cesser de s'emballer et vous
allez en être quitte pour une petite frousse.
Sur la question des
prédisposition, j’ajouterais ici que plus on fait de nombreux apprentissages, donc
plus on renforce les liens corticaux grâce à la grande plasticité du cortex,
plus on est susceptible de s’affranchir,
ou du moins d’être plus libre de choisir entre nos comportements instictifs, émotionnels, et ceux qui sont le fruit de notre
raison, qui, comme tout bon philosophe le sait, est d’autant plus raisonnable
qu’elle a mémorisé une grande quantité de savoirs, historiques, scientifiques, etc…
Ce qu’on appelle couramment
la conscience n’est par conséquent que la pointe de l’iceberg de nos processus cérébraux qui sont pour la
plupart inconscients. Et pas inconscient au sens freudien de refoulement, mais
simplement hors de notre champs de conscience, automatisés pour plus d’efficacité.
Plus généralement, on peut
même aller plus loin en suivant Henri Laborit et dire
« qu’un cerveau ça ne sert pas à
penser, mais à agir. » Je suis désolé d’avoir à vous dire ça, chers
amis philosophes, mais un cerveau ça s’est développé et ça sert encore surtout
à agir. C’est-à-dire que les systèmes nerveux se sont
développés pour assurer l’autonomie
motrice des animaux qui, contrairement aux plantes, doivent se déplacer
dans leur environnement pour acquérir les ressources nécessaires à leur survie.
Quand une action gratifiante
se déroule avec succès, certaines
régions du cerveau sont alors activées pour nous motiver à répéter ces
expériences plaisantes.
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_cr/d_03_cr_que/d_03_cr_que.html
Si une situation s’avère
menaçante pour l’organisme, par exemple un
ours qui surgit devant soi, l’action requise peut être alors de fuir ou de combattre ce danger
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_03/a_03_p/a_03_p_que/a_03_p_que.html
De nombreuses modifications physiologiques se mettent alors en branle
dans l’organisme pour favoriser l’action : augmentation du rythme
respiratoire, de la fréquence cardiaque, augmentation de l’apport sanguin aux
muscles au détriment des viscères, etc. Si
l’action est efficace (on réussit à fuir ou on sort victorieux du combat) alors
l’organisme retrouve rapidement son équilibre.
Sinon, c’est le stress et l’inhibition chronique de son action (« on attend dans
l’espoir que ça passe »), ce qui entraîne les pires effet pour l’organisme car ce vieux système de fuite ou de
lutte a été sélectionné il y a fort longtemps et amène comme je l’ai dit de
grands remaniements dans l’organisme, remaniements
qui ne doivent pas durer trop longtemps, seulement le temps de sauver sa
peau, sous peine d’épuiser l’organisme. Ces situations d’inhibition de
l’action, nos sociétés modernes en regorgent, ce qui, par des mécanismes
maintenant bien connus
https://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_08/a_08_m/a_08_m_dep/a_08_m_dep.html
peut amener différents
problèmes liés entre autre à l’effondrement
du système immunitaire et à l’hypertension artérielle, des problèmes allant
des infections mineures (grippes), aux
ulcères d’estomac, aux problèmes cardiaques, et jusqu’au cancers…
La neuro-psycho-endocrinologie nous
apprend donc que, et ce sera mon huitième et dernier concept,
ils se parlent constamment, et que ce qui affecte l’un
affecte inévitablement l’autre. Ce que sécrète le corps influence le cerveau et
ce que sécrète le cerveau influence le corps.
De là à dire que le corps, le cerveau et l’esprit sont une même entité, il n’y a qu’un pas à
franchir, pas qu’à l’instar de la majorité des neurobiologistes contemporains je
franchis sans hésiter, n’en déplaise à notre bon ami Descartes…
Fin.