Socrate neurobiologiste ? Données récentes sur le cerveau.

 

Résumé :  Que ferait Socrate s’il se réincarnait au XXIe siècle ? Probablement des neurosciences. Voilà une proposition un tantinet provocante qui servira de prétexte pour présenter quelques avancées récentes dans le domaine de la neurobiologie. Neurogenèse, dynamique chaotique de l’activité cérébrale, nouvelles techniques d’imageries sur la connectivité des voies neuronales, voilà des données que doit aujourd’hui intégrer toute personne qui cherche à « se connaître soi-même ».

 

Petit voyage impressionniste, donc, du neurotransmetteur au concept, en passant par l’assemblée de neurones et les circuits cérébraux. Ce survol de l’objet le plus complexe de l’univers dont nous possédons tous un exemplaire entre les deux oreilles sera conçu à partir du site web Le Cerveau à tous les niveaux (www.lecerveau.mcgill.ca ). Parce que le problème avec le cerveau, c’est qu’à chaque fois qu’il se passe quelque chose à un niveau d’organisation, il se passe simultanément plein d’autres choses à tous les autres niveaux…

 

 

 

Avant de commencer la présentation qui va porter sur quelques données récentes en neurosciences qui amènent avec elles certaines réflexions philosophiques, je voudrais juste prendre 5 minutes pour présenter le contexte qui m’a amené à préparer cette présentation.

 

Pour ceux qui ne me connaissent pas, j’ai conçu et je rédige depuis 7 ans maintenant le Cerveau à tous les niveaux…

 

 

…qui est un site web interactif sur le cerveau et les comportements humains.

 

C’est un site qui a une navigation un peu particulière…

 

 

…puisque tout ce qui y est expliqué l’est à 3 niveaux d’explication de difficulté croissante, d’une part.

 

Et d’autre part…

 

 

…on n’explore pas seulement ce qui se passe au niveau cérébral, c’est-à-dire au niveau macroscopique des différentes régions cérébrales, mais à 5 niveaux d’organisation différents, allant de l’infiniment petit du niveau moléculaire, et en remontant au niveaux cellulaire, cérébral, psychologique, et même social.

 

C’est ce qu’on retrouve ici…

 

https://lecerveau.mcgill.ca/flash/index_d.html

 

…sur le « vrai site » avec la page d’accueil qui nous permet de choisir l’un des 12 thèmes,  qui sont les grandes portes d’entrée du site couvrant l’ensemble des comportements humains.  Si on sélectionne par exemple celui-ci qui s’intitule « La quête du plaisir »…

 

https://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_cr/d_03_cr_que/d_03_cr_que.html

 

…on arrive sur une page de contenu de ce thème, où l’on retrouve les raccourcis pour nos 12 thèmes ici et on voit aussi que chaque thème peut comporter plusieurs sous-thèmes qu’on peut sélectionner à partir de cette boîte de navigation.

 

On retrouve aussi en haut de la page nos deux autres boîtes de navigation des niveaux, celle des niveaux d’explication qui nous dit qu’on est actuellement au niveau débutant, et celle des niveaux d’organisation qui indique qu’on est au niveau cérébral.

 

On peut donc lire cette présentation assez simplifiée des centres du plaisir et si on veut en savoir plus, on clique sur intermédiaire https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_cr/i_03_cr_que/i_03_cr_que.html … et on retrouve le même sujet, mais avec plus de détails. Et même chose si on clique sur avancé https://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_03/a_03_cr/a_03_cr_que/a_03_cr_que.html : on continue de rentrer dans la complexité de la relation entre les différentes structures cérébrales impliquées dans les sensations agréables.

 

Et bien sûr on a toujours aussi une série de lien vers d’autres sites web dont le contenu est pertinent pour cette page particulière du site.

 

Par ailleurs, je vais me replacer ici au niveau intermédiaire pour vous monter qu’on pourrait aussi décider de faire une espèce de zoom in et d’aller voir ce qui se passe au niveau cellulaire https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_cl/i_03_cl_que/i_03_cl_que.html , c’est-à-dire au niveau des réseaux de neurones responsable de la sensation de plaisir.

 

On peut ensuite continuer notre zoom vers encore plus petit, au niveau moléculaire https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_m/i_03_m_que/i_03_m_que.html , pour lire par exemple sur la dopamine qui est un neurotransmetteur, c’est-à-dire un messager chimique relâché entre les neurones, fortement impliqué dans les circuits du plaisir.

 

Mais on pourrait aussi décider de remonter au niveau psychologique https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_p/i_03_p_que/i_03_p_que.html pour analyser les différents choix comportementaux qui s’offrent à nous devant une situation agréable ou désagréable.

 

Et finalement, on pourrait aussi questionner certaines corrélations sociales https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_03/i_03_s/i_03_s_que/i_03_s_que.html de cette organisation neurale des plaisirs en présentant par exemple quelque philosophe qui ont mis le plaisir au cœur de leur philosophie.

 

Et parlant de philosophe, ça nous ramène donc à la présentation d’aujourd’hui que j’ai  intitulé :

 

 

Alors contrairement à ce que j’ai pu faire par le passé, je ne vais pas suivre un itinéraire directement dans le site pour vous présenter ces données. Je vais plutôt essayer de faire quelque chose de plus impressionniste que didactique avec un simple Power Point, bien que plusieurs des images que vous allez voir vient de mon site web.

 

En gros, ce sera donc un aperçu bien subjectif et parcellaire de données relativement récentes et qui ont attiré mon attention pour diverses raisons et que je vais tenter de relier entre elle pour vous donner l’impression que je veux vous amener quelque part avec ça, alors qu’en réalité, je ne cherche qu’à vous transmettre ma fascination pour cet organe et mon ignorance qui grandit de jour en jour à son sujet.

 

En espérant que ça pourra soulever quelques questions qu’on pourra discuter ensemble par la suite.

 

 

Je commencerai donc avec le tableau du peintre le peintre français Jacques-Louis David, intitulé « La Mort de Socrate », peint en 1787, parce qu’il va me permettre de vous proposer une hypothèse de mon cru, à savoir que :

 

si Socrate était né à la fin du XXe siècle, il aurait, j’en suis presque certain, été neurobiologiste…  Pourquoi ? C’est ce que je vais essayer de défendre dans les minutes qui vont suivre.

 

 

On a donc ce magnifique tableau de style néoclassique qui montre comment l’artiste se représente la scène de la mort de Socrate, condamné à se suicider en buvant la ciguë pour l’expression de ses idées (notamment en matière de religion) qui, pour les athéniens, pervertissaient la jeunesse.

 

 

J’attire votre attention sur le fait que Socrate, que l’on voit ici juste avant de commettre l’irréparable, a l'index pointé vers le ciel en référence à la doctrine idéaliste de Platon que l’on aperçoit ici…

 

 

à gauche, l’air de rien. Platon qui pourtant, d'après les textes, n'aurait pas assisté à la mort de Socrate. Qu’aurait alors voulu dire David en peignant ainsi Socrate le doigt pointé vers le ciel des idées avec Platon qui le surveille juste à côté ?

 

Peut-être au fond que personne ne connaît véritablement Socrate… Car, faut-il le rappeler, Socrate n’a rien écrit et donc le Socrate qu’on connaît est essentiellement le Socrate dont Platon fait le récit.

 

 

Dans son dialogue appelé le Phédon par exemple, Platon raconte cette scène de  la mort de Socrate. Et il nous dit que juste avant de boire la ciguë, Socrate aurait expliqué à ses amis qu’il ne craignait pas la mort parce que l’âme est immatérielle et immortelle (d’où le doigt pointé vers le ciel des idées, je vous rappelle que c’est Platon qui écrit…) et qu’en conséquence elle ne peut être détruite d’aucune manière, comme le serait un vulgaire objet matériel.

 

 

Par ailleurs, c’est à ce même Socrate que l’on attribue le fameux « Connais-toi toi-même », cette formule inscrite au fronton du temple de Delphes. Socrate aurait fait sienne cette maxime non pas dans le sens de se connaître soi-même en tant qu’individu particulier, mais plutôt de s'observer en tant qu'être humain, en s’élevant au-dessus de nos sentiments, de nos préjugés et de nos opinions dont nous sommes souvent les esclaves et qui ne sont toujours qu’une illusion.

 

 

Je reviendrai un peu plus tard sur cette notion d’illusion, mais je voudrais rappeler que c’est aussi Socrate qui disait : « Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien ».

 

 

C’est tout cela qui m’amène à vous proposer que Socrate, le vrai Socrate, pas celui de Platon, était, au fond, neurobiologiste avant l’heure.

 

Car que fait le scientifique contemporain qui étudie le cerveau sinon essayer de se comprendre lui-même ?

Et plus il accumule les données sur le cerveau, quelle conviction acquiert-il, sinon qu’on ne sait encore presque rien de son fonctionnement ?

 

 

Donc Socrate neurobiologiste. C.Q.F.D., ça me paraît évident. Et c’est ce que je vais tenter de vous démontrer dans les minutes qui suivent,

en commençant par vous parler d’un blog

 

 

...qui s’appelle justement « Neurophilosophy » !

 

De plus en plus de chercheurs et d’étudiants gradués tiennent d’excellents blogs comme celui-ci où des entrées souvent quotidiennes recensent les études les plus intéressantes qui sont publiées dans les revues scientifiques spécialisées.

 

Dans ce cas-ci, il s’agit d’une entrée publiée le 9 juin dernier ayant pour titre :

 

6 iconoclastic discoveries about the brain”…

…que l’on pourrait traduire par “6 découvertes iconoclastes sur le cerveau”. Et c’est intéressant parce que l’auteur y répertorie certaines études qui mettent à mal un certain nombre d’idée reçues ou de dogmes en neurosciences.

 

Car l’étude scientifique du cerveau, comme toute autre discipline scientifique, ou comme tout cadre de pensée en général, fonctionne souvent à l’intérieur d’un paradigme donné, à l’intérieur duquel on voit et on pense le monde. Et ce qui ne cadre pas avec ce paradigme, ce qui est « a-normal », est généralement ignoré, jusqu’au moment où parfois, les données anormales s’accumulent et acquièrent suffisamment de force pour faire changer le paradigme. Pour faire ce que Kuhn appelait une « révolution scientifique ».

 

Je vais donc commencer mon petit survol en m’inspirant de ce blog et de quelques un des dogmes bien établis au sujet du cerveau qui y sont ébranlés par des études.

Une démarche, somme toute très socratique, Socrate qui en son temps ne faisait pas autre chose que d’ébranler les certitudes de ses disciples en les interrogeant…

 

Dogme 1 : Le cerveau humain adulte n’est pas plastique, ne peut plus se modifier.

 

Le premier de ces vieux dogmes, qui a eu cours pendant des années, était que le cerveau était souple durant l’enfance, mais qu’une fois adulte il perdait sa plasticité, sa capacité à se modifier en profondeur, qu’une fois devenu adulte donc, l’être humain demeure essentiellement ce qu’il est jusqu’à la fin de ses jours.

 

Or depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, on sait que ce n’est pas vrai.

 

 

C’est ce qu’on appelle la plasticité neuronale.  C’est vrai que historiquement, la plasticité neuronale a été mise en évidence chez le jeune animal.

 

 

Par exemple, dès la naissance, les organes des sens stimulés permettent la mise en place des colonnes de dominance pour chacun des deux yeux, dans le cortex visuel.

 

 

Si on bouche un œil à un chaton ou à un bébé singe à sa naissance, les colonnes liées à l'autre œil s'élargissent, les neurones qui auraient dû se lier à l’œil bouché étant récupérés par l’œil actif.

 

 

On parle de période critique pour désigner cette période où la maturation du cortex est particulièrement sensible à l'activité neuronale qui vient de l’interaction avec l’environnement, et où les neurones non utilisés dégénèrent suite à ces phénomènes de compétition neuronale. 

 

 

Donc c’est certain que la plasticité corticale est moins intense chez l'adulte, mais ce qu’on a montré depuis une trentaine d’années c’est qu’elle est loin d’être négligeable comme on l’a longtemps pensé.

 

 

Elle a par exemple été révélée par imagerie cérébrale avec des adultes apprenant des activités demandant un apprentissage spécifique soutenu (comme apprendre à jouer du violon par exemple)…

 

 

…la surface des aires corticales concernées, somesthésiques et motrices, augmente proportionnellement aux stimulations.

 

Le cerveau adulte conserve donc sa capacité à se réorganiser toute sa vie, en particulier quand le cerveau subit des lésions ou dans des situation d’apprentissage intense. 

 

Par conséquent, si une aire déterminée génétiquement pour une fonction n'est pas utilisée, elle peut être réaffectée pour une fonction remplaçante.

Franco Lepore, Professeur au département de Psychologie de l’Université de Montréal, a par exemple montré que, dans le cas de la cécité, la personne aveugle compense pour cette perte en démontrant une meilleure discrimination de la tonalité d’un son ainsi que de sa localisation dans l’espace.

Mais il a aussi démontré, au niveau électrophysiologique, que la partie postérieure du cortex, soit le cortex visuel, est alors activé par des sons chez ces personnes aveugles.


Quand on leur fait entendre un son, on note la présence d’une activation du cortex occipital seulement chez les sujets aveugles.

 

Maintenant, jusqu’où peut aller cette plasticité ?

 

Si je vous dis qu’il y a quelques dizaines de Québécois vivent avec la moitié de leur cerveau, allez-vous me croire ? C’est pourtant bien vrai. Pour traiter leur crises d’épilepsie rebelles, ils ont subi une opération appelée « hémisphérectomie », soit ni plus ni moins que l’ablation chirurgicale d’un hémisphère cérébral au complet !

 

Vous devez vous dire que la pauvre personne qui subit une telle opération doit être bien mal en point, et c’est bien logique comme réflexe de penser ainsi. Mais figurez-vous que vous ne pourriez même pas reconnaître dans la rue une personne qui a subi ce traitement !

Et ça c’est pas moi qui le dit mais bien Maurice Ptito, professeur à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal, qui côtoie depuis 15 ans ces patients et qui cherchent à comprendre comment le cerveau parvient à s'adapter à la perte d'un hémisphère complet.

Cette scanographie montre le cerveau d’une femme d’une quarantaine d’années dont on a retiré un hémisphère complet à l’âge de 23 ans. Cette mère de trois enfants n’a aucun regret depuis son opération puisque les crises ont complètement cessé et qu’elle mène aujourd’hui une vie normale.

 «Certains sont de véritables miraculés, signale Maurice Ptito. Ils vivaient alités, incapables de quitter l’hôpital à cause de la sévérité de leurs crises.  Après quelques années, les patients dont on a retiré un hémisphère ont une qualité de vie bien supérieure à la période préopératoire et leurs crises ont complètement cessé.

Certes, la réadaptation demande un certain temps, mais à terme plusieurs sujets présentent un quotient intellectuel moyen ou dans la basse moyenne (soit entre 80 et 100). La «plasticité» du cerveau permet ici de recycler les fonctions cérébrales perdues. 

À ne pas confondre avec la lobotomie frontale des années 1950 (des deux hémisphères frontaux), qui voulait corriger des problèmes de santé mentale — une aberration, signale Maurice Ptito .

Un autre exemple ici d’une petite fille de 7 ans qui s’était fait enlever un hémisphère à l’âge de 3 ans. Ce qui est intéressant ici, c’est que c’était son hémisphère dominant pour le langage, et que la petite fille est aujourd’hui bilingue (elle parle en turque et en hollandais), et qu’au niveau moteur elle n’a gardé qu’une légère raideur au bras et à la jambe du côté opposé (car le contrôle des deux côté du corps par le cerveau est croisé…)


Vous allez me dire, oui mais ça c’était pour un enfant, et la plasticité est beaucoup plus grande à cet âge. Jusqu’où est-ce que la plasticité peut aller pour un adulte ?

Jusque là :

 

 

En juillet 2007, dans la revue spécialisée The Lancet, paraissait cette histoire incroyable d’un Français de 44 ans a réussi à vivre de manière parfaitement normale malgré un cerveau complètement comprimé contre la paroi de sa boîte crânienne, en raison d'une importante poche de liquide dans ses ventricules cérébraux.

En fait, les scanners ont montré qu'un énorme ventricule cérébral occupait quasiment tout l'espace de la boîte cranienne, laissant à peine plus qu'une fine couche de tissu cérébral, rapportent des chercheurs français dans la revue spécialisée The Lancet.

"Il était marié, père de deux enfants et travaillait dans la fonction publique".

Cet homme s'est rendu à l'hôpital en raison d'un léger problème à la jambe gauche. Lorsque les médecins ont examiné son dossier médical, elle a appris qu'on lui avait posé un drain dans son enfance pour traiter une hydrocéphalie, c'est-à-dire une accumulation de liquide dans le cerveau.

Ce drain lui a été retiré à l'âge de 14 ans.

Les médecins ont donc décidé de procéder à une imagerie par résonance magnétique (IRM). Ils ont alors constaté avec stupéfaction une "énorme hypertrophie" des ventricules latéraux - des poches habituellement petites contenant le liquide cérébro-spinal.

Des tests ont permis d'estimer le QI de cet homme à 75, soit un niveau inférieur à la moyenne mais n'impliquant pas non plus un quelconque retard mental.

Donc : "Si quelque chose se produit très lentement sur une assez longue période, peut-être des décennies, les différentes parties du cerveau prennent en charge des fonctions qui auraient normalement été remplies par la partie mise de côté"

 

 

On va examiner maintenant un 2e dogme, qui est d’une certaine façon relié au premier, et qui est que :

Dogme 2: Les cellules du cerveau adulte humain, qu’on appelle aussi les neurones, ne peuvent pas se régénérer.

 

Ça c’est ce qu’on enseignait encore il y a 15 ans dans les facultés des universités. On naissait avec un stock de neurones et on ne faisait qu’en perdre durant notre existence. Remarquez, comme on en avait autour de 100 milliards, on pouvait sans trop de problèmes se permettre d’en perdre quelques milliers par jour, et en plus ceux qui restaient pouvaient continuer toute la vie modifier l’efficacité de leur synapse en plus de faire carrément de nouvelles connexions avec ses voisins…

Mais ce qui est maintenant établi avec certitude, c’est que le cerveau humain adulte contient de petites populations de cellules souches qui sont capables de se diviser et de générer des nouveaux neurones durant toute la vie adulte.

Par exemple, cette neurogenèse semble très importante dans l’hippocampe, une structure très importante pour la mémoire à long terme, à laquelle ces neurones supplémentaires pourraient contribuer.

Plusieurs expériences ont aussi montré le lien étroit qui existe entre la neurogenèse dans l’hippocampe et les taux de glucocorticoïdes élevés provoqués par le stress.

L’ablation des glandes surrénales qui sécrètent les glucocorticoïdes amène chez le rat une augmentation de la neurogenèse dans le gyrus dentelé de l’hippocampe.   Ou encore, on peut empêcher la neurogenèse du gyrus dentelé en administrant d’une façon chronique de la corticostérone à des rats normaux.

Des situations naturellement stressante pour un animal ont aussi des effets néfastes sur la neurogenèse. Ainsi, un rat exposé à l’odeur d’un prédateur naturel comme le renard voit sa prolifération neuronale réduite dans le gyrus dentelé. Le même phénomène est observé lors d’un stress psycho-social, comme lorsque deux rats du même sexe sont mis en présence dans la même cage par exemple.

Parlant de « stress psycho-social »…

… je crois qu’aucun film n’illustre mieux les effets néfastes sur la santé et sur l’équilibre mental en général d’un stress psycho-social chronique que le film « Mon oncle d’Amérique » qui sera présenté cette nuit dans le cadre de…

 

Mon Oncle d'Amérique (long métrage d'Alain Resnais, 1980)

La«Mon Oncle d'Amérique [Grand Prix du Jury à Canne en 1980] est bien plus qu'un simple film, c'est également le vecteur et le véhicule d'une théorie neuropsychiatrique sur la conception du cerveau humain et son fonctionnement. Henri Laborit, qui coécrit le film, est le principal médiateur de cette pensée en France. […] Le métrage devient alors un objet hybride, entre document socioculturel, film de laboratoire et long-métrage dramatique dressant le portrait de deux hommes et d'une femme dont la vie va les amener à se croiser, se fréquenter, dans un constant rapport d'étude comportemental. […] Mon Oncle d'Amérique est une expérience filmique dans le strict sens du terme. […] Toujours dans ce souci de présenter ses travaux à un ensemble de personnes pas forcément touchées ou attirées par le discours scientifique, Laborit investit la fiction pour servir son étude.» (Extrait de Cinétudes)

Participants: Bruno Dubuc

Local: J-1140

 

Autre dogme en train de tomber :

Dogme 3 : Les neurones sont les seuls éléments fonctionnels, du point de vue de la communication, dans le système nerveux.

Pourtant il y a un autre type de cellule dans le système nerveux dont on entend beaucoup moins parler, et ce sont les cellules gliales.

Pourtant, elles sont 10 à 50 fois plus nombreuses que nos 100 milliards de neurones ! Leur faute impardonnable ? Elles ne participent pas directement à l'influx nerveux…  Du moins c’est ce qu’on croyait.

On savait en effet que les cellules gliales procurent aux neurones leur nourriture, les supportent et les protègent. Elles éliminent aussi les déchets causés par la mort neuronale et accélèrent la conduction nerveuse en agissant comme gaine isolante de certains axones.

Mais les cellules gliales pourraient bien contribuer à réguler la communication entre les neurones de manière plus importante, en plus de contrôler le débit sanguin dans les capillaires cérébraux. 

Ils peuvent donc  communiquer avec les neurones, entre eux, et avec les vaisseaux sanguins.

On a aussi découvert, il n’y a pas si longtemps, que les astrocytes sont couplés les uns aux autres par des " gap-jonctions " à travers lesquels peuvent circuler divers métabolites et que ce réseau d'astrocytes pouvait former un véritable syncytium, c'est-à-dire se comporter comme un seul et même élément.

Les prolongements astrocytaires qui entourent les synapses peuvent ainsi exercer un contrôle plus global sur la concentration ionique dans les fentes synaptiques.

En 2001, une étude avait montré que l’analyse post-mortem du cortex de sujet morts en état de dépression montrait une quantité significativement moindre de cellules gliales que chez le sujet sain.

Plus récemment, une étude publiée dans  Nature Neuroscience en Mars 2008 vient de montrer que certaines cellules gliales peuvent produire des potentiels d’action, i.e. des influx nerveux. Or leur incapacité à en produire était justement l’un des principaux critères qui les différenciait des neurones, depuis leur découverte au 19e siècle.

Les cellules gliales font donc probablement beaucoup plus que seulement supporter les neurones et pourraient bien jouer un rôle majeur dans la communication neuronale.

 

Un dernier dogme fragilisé issu de ce blog:

Dogme 4 : Les neurotransmetteurs, ou messagers chimiques, sont relâché uniquement dans la synapse.

 

Depuis plusieurs décennies, on enseigne les bases de la communication entre les neurones de la façon suivante :

https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_01/i_01_cl/i_01_cl_fon/i_01_cl_fon.html

les neurones reçoivent des influx nerveux sur leurs dendrites, intègrent l’ensemble de ces information sur son corps cellulaire, et génère ensuite un potentiel d’action le long de son axone, et ainsi de suite…

https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_07/i_07_m/i_07_m_tra/i_07_m_tra.html

Quand ce potentiel d’action atteint ensuite la synapse au bout de l’axone, il provoque le relâchement de neurotransmetteurs, qui diffusent à travers la fente synaptique et déclenchent une réponse dans le neurone suivant.

Mais une étude publiée en Février 2007, toujours dans Nature Neuroscience montre que des neurotransmetteurs peuvent aussi être relâchés le long de l’axone, dans la matière blanche du corps calleux ! 

 

En fait, c’est du glutamate, un neurotransmetteur très fréquent dans le cerveau, qui est relâché de certains endroits sur des axones non myélinisés.

 On a donc ici un site de libération de neurotransmetteur tout à fait atypique dont on ignore encore tout de la fonction…

 

Parlant de ce gros faisceau de  matière blanche qu’est le corps calleux, j’en profite en passant pour rappeler la distinction très générale que l’on fait dans le cerveau entre la matière blanche et la  matière grise. 

 

Parce qu’on va maintenant parler un peu d’imagerie cérébrale, et c’est une chose importante à se rappeler.

Imaging techniques such as fMRI measure blood flow through the brain.    

Pourquoi ? Parce que la tomographie par émission de positon (TEP en français, ou PET scan en anglais) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMf, qui sont 2 des techniques les plus utilisées,  fonctionnent toute deux sur un principe qui ne concerne que la matière grise, i.e. les régions cérébrales où il y a des corps cellulaires.

Pourquoi juste ces régions-là ? Parce que quand un neurone est sollicité, quand il est plus actif que d’habitude (et c’est souvent ça qu’on veut détecter avec les études d’imagerie cérébrale, i.e. quelle région du cerveau participe à telle ou telle fonction), et bien il consomme plus d’oxygène. Et pour lui en donner plus, les capillaires sanguins cérébraux vont augmenter le flux sanguin dans cette région précise où se trouvent les neurones qui sont très actifs.

Donc tant la IRMf que la TEP sont des mesures indirectes de l’activité neuronale. Je n’entrerai pas ici dans les détails théoriques du fonctionnement de chacune de ces techniques, mais l’idée à retenir c’est qu’elles mesurent l’activité neuronale en détectant les changements dans le débit sanguin qui y correspond.

 

On va donc donner un aperçu des forces et des avantages de ces techniques, pour ensuite montrer un peu leurs faiblesses et de leurs limites.

Un exemple de données récentes et intéressantes obtenues grâce à l’imagerie cérébrale, est une étude publiée au début de cette année en 2009 par Gemma Modinos, Johan Ormel et André Aleman et intitulée : 

Je signale que Plos est un journal scientifique international, avec revue par les pairs, mais « open-access » (gratuit) mais où les auteurs gardent leur copyright.

La réflexion sur soi-même est une faculté que l’on a longtemps associée au seul cortex préfrontal en terme de corrélats neuronaux. Cela impliquerait cependant que seuls les animaux avec un cortex préfrontal développé seraient capables de réflexion sur eux-mêmes. Il s’agit en effet d’une structure très récente sur le plan évolutif.

Toutefois, une autre région cérébrale a été récemment associée à la réflexion sur soi-même : l’insula.

Pour vous montrer où est l’insula, il faut d’abord rappeler que…

lateral sulcus.png

…l’aspect extérieur du cerveau humain est fait de circonvolutions et de sillons. L’un des sillons les plus profonds est le sillon latéral (ou scissure de Sylvius) situé entre le lobe frontal et le lobe temporal, juste au-dessus de nos oreilles.

insula.gif

Pour voir l’insula, il faut donc écarter ce sillon latéral, car elle est en dessous, dans un repli du cortex.

L’insula est très étudiée depuis quelques années pour son rôle possible dans la réflexion sur soi.

Mais d’abord, pourquoi la réflexion sur soi est-elle si importante ? C’est que chez les espèces sociales (comme la nôtre), la conscience de soi, et donc la capacité de réfléchir sur soi-même, est cruciale pour des comportements importants comme déterminer notre place dans une hiérarchie sociale. Et plus encore pour nous permettre de nous distinguer nous-même de notre environnement et des autres individus. D’ailleurs, une reconnaissance de soi défectueuse est à l’un des signes de la psychose, l’un des symptômes fréquents de la schizophrénie.

Et dans ce cas-ci, malgré ses limites, l’imagerie cérébrale fonctionnelle par résonance magnétique peut donner des images très révélatrices.

journal.pone.0004618.g001(2).png

Qu’est-ce que les gens devaient faire dans le scan ? Ils devaient penser à trois choses : 

1) Eux-mêmes. Ils devaient lire de courtes phrases et décider si elles les décrivaient bien ou mal.

2) Une personne qu’ils connaissaient. Donc le même test, mais appliqué à cette autre personne..

3)  Quelque chose au hasard. Ce test consistait en fait à lire une liste de faits.

On peut voir sur cette diapo les aires activées durant les trois tâches.

D’abord, ils confirment qu’avec une tâche cognitive générale comme celle-ci, c’est toujours un ensemble de régions qui sont impliquées, pratiquement jamais de “centre”, toujours des circuits d’aires interreliées

Les trois tâches activaient par exemple les aires corticales de la vision (lire le test) que l’on voit avec beaucoup d’activité à l’arrière du cerveau (dans le coin supérieur droit) au niveau du cortex occipital (cortex visuel primaire). On note aussi, par exemple dans le coin supérieur gauche, une activation des régions médianes du cortex frontal associées à la prise de décisions et à la cognition en général.

Mais y’avait-il quelque chose d’unique que l’on pouvait observer durant la tâche de réflexion sur soi ?

fig2.png

Oui, une activation de l’insula antérieure, qui était la seule région majeure du cerveau où l’on pouvait observer une augmentation d’activité seulement lors de la tâche de réflexion sur soi, et pas lors de la réflexion sur quelqu’un d’autre, ni sur la réflexion sur des faits.

Autre résultat intéressant de l’expérience :

fig3.png

le précunéus, une région du cortex pariétal, était pour sa part uniquement activé durant la réflexion sur une autre personne, mais pas durant la réflexion sur soi ou sur des faits.

Si vous voulez en savoir un peu plus sur ces deux structures cérébrales, je vous invite à aller sur le site dans le thème sur la conscience https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_12/i_12_cr/i_12_cr_con/i_12_cr_con.html. En tapant par exemple le nom de ces structures dans notre moteur de recherche au bas de chaque page vous allez trouver d’autres informations sur leur rôle possible dans le phénomène de la conscience.

 

 

Bon, après les fleurs sur l’imagerie cérébrale, le pot. Quelques questions… fatiguantes, que Socrate n’aurait sans doute pas reniées :

 

 

Certains n’y vont pas avec le dos de la cuillère pour critiquer les études d’imagerie cérébrale, les accusant souvent par exemple de retour à la phrénologie, cette discipline du XIXe siècle qui prétendait que les bosses du crâne d'un être humain reflète son caractère. Pour eux, il est peu probable que des avancées expérimentales significatives sur le fonctionnement de la conscience humaine passe par la localisation d’activation d’aires spécifiques. L’activité globale, chaotique et dynamique du cerveau, qui est difficile à saisir avec les techniques d’imagerie actuelles, demeure la chose la plus importante à comprendre.  Voir aussi à ce sujet le thème sur la conscience de notre site, par exemple au https://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_12/a_12_p/a_12_p_con/a_12_p_con.html#freeman

 

D’autres vont dire que :

l’imagerie cérébrale est excellente quand il s’agit de rechercher une lésion du tissu cérébral, mais que pour des processus plus complexes, comme localiser un type de pensée particulier, elle est n’est pas une résolution spatiale et temporelle assez fine.


Une autre critique plus récente est venue de la publication d’une étude de Yevgeniy B. Sirotin & Aniruddha Das en début d’année, donc en 2009 dans Nature

et dont le titre pourrait être traduit par : Des changements anticipatoires dans la dynamique du flux sanguin qui ne sont pas prédits par l’activité neuronale locale.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Il faut d’abord rappeler un principe de base sur lequel s’appuie l’imagerie cérébral, à savoir qu’il existe des mécanismes très fins de régulation qui font en sorte qu’une région avec plus d’activité électrique reçoit automatiquement plus de sang grâce à une vasodilatation des capillaires sanguins du cerveau.  Eh bien ce que ces chercheurs ont montré, c’est qu’il pourrait y avoir des cas où il y a vasodilatation SANS augmentation de l’activité neuronale dans cette région. Autrement dit, que le postulat à la base de toute l’imagerie cérébrale pourrait ne pas être entièrement valide !

Comment ont-il réussi à montrer ça ?

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Ils ont utilisé une nouvelle technique pour mesurer et comparer de manière indépendante l’activité nerveuse et le flux sanguin dans certaines régions du cerveau de singes vivants.

Les deux singes rhésus avaient en l’occurrence un implant crânien transparent permettant de voir la circulation sanguine du cortex visuel. Grâce à une caméra, les chercheurs pouvaient donc observer directement le débit sanguin et donc l’apport accru d’oxygène dans cette région du cerveau. Et par ailleurs, en même temps, ils pouvaient enregistrer l’activité nerveuse de neurones à cet endroit précis.

Je ne vais pas rentrer dans les détails de la tâche qu’ils avaient appris au singe et qui leur ont permis de faire leur observation. Mais la conclusion c’est que tout se passe comme si en plus de pouvoir augmenter le flux sanguin des régions où les neurones sont les plus actifs, les vaisseaux sanguins du cerveau pouvaient aussi se vasodilater dans les régions qui pourrait nécessiter une activation dans un futur rapproché.

Les auteurs suggèrent donc que certaines parties du cerveau pourraient anticiper les demandes pour d’autres régions et envoyer en prévision un plus grand afflux sanguin dans le but de subvenir à cette demande accrue anticipée.

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Comme je ne voudrais pas faire un excès de zèle sceptique par rapport à l’imagerie cérébrale et qu’on me traite de Pyrrhon des neurosciences, je voudrais terminer cette partie sur l’imagerie cérébrale en vous parlant d’une autre technique relativement nouvelle et prometteuse :

L’imagerie en tenseur de diffusion.  En anglais: Diffusion Tensor Imaging (DTI)

Le principe de son fonctionnement est assez fascinant.

Il repose sur le fait que les mouvements de diffusion (i.e. les mouvements aléatoires des molécules d’eau dans un tissue) vont dans toutes les directions sans avoir de direction préférentielle quand il n’y a pas de structures particulièrement allongées dans le tissu.

Mais quand il y a de telles structures allongées, comme dans les faisceaux de matière blanche du cerveau ou dans les muscles, les mouvements de diffusion sont plus importants dans le sens des structures allongées que dans la direction perpendiculaire à celles-ci.

Et avec des algorithmes dont j’ose à peine imaginer la complexité, on arrive à mettre en évidence, par exemple, certains faisceaux de matière blanche du cerveau comme on ne les avait jamais vu auparavant. Et là on entre dans la partie « Wow ! » de la présentation !

 

 

Voici par exemple le corps calleux dont on parlait tantôt vu avec cette technique.

 

 

Là je me suis fait plaisir, j’en ai mis plusieurs…

 

 

Depuis 2005, il y aurait eu plus de 2 500 articles utilisant limagerie en tenseur de diffusion. 

 

 

 

 

 

Comme quoi parfois, la science n’est pas loin de devenir de l’art…

 

 

Pour rester dans le spectaculaire et les belles images, je voudrais vous dire deux mots sur ce portrait d’un monsieur qui s’appelle Jeff Lichtman publié en janvier 2009 dans Nature.

 

C’est un biologiste moléculaire de l’université de Harvard qui a l’ambition de ni plus ni moins faire la cartographie de toutes les connexions du cerveau du rat et, un jour peut-être, de celui de l’humain…

Il a inventé une machine à faire des tranches de tissu nerveux appelée “the automatic tape-collecting lathe ultramicrotome (ATLUM)” aussi mince que moins de 10 nanomètres thick ! Il peut ensuite observer ces minces tranches au microscope électronique et ainsi visualiser le réseau de connexion intriqué des neurones de cette région du cerveau.

On peut voir par exemple ici des voies neuronales du tronc cérébral (photo principale), de gyrus dentelé de l’hippocampe (insert du haut) et d’un nerf périphérique (insert du bas).

Lichtman rêve d’avoir un jour plusieurs douzaines de ces microscopes explorant des tranches ultra minces de tissus nerveux. Et même à ce moment-là, cela prendrait probablement des années pour commencer à comprendre toutes les connexions du cerveau.

En ce sens, Lichtman est devenu l’un des promoteurs de l’idée d’établir un “connectome”, c’est-à-dire une carte complète du câblage neuronal du cerveau de mammifère. Considérant le fait que plusieurs maladies mentales, comme l’autisme ou la schizophrénie, semblent découler d’une erreur de câblage, Lichtman et d’autres chercheurs croient que le cerveau a besoin d’un connectome comme la génétique moderne a eu besoin de séquencer le génome.

Actuellement, une telle carte des connexions neuronale n’existe que pour le vers nématode Caenorhabditis elegans qui ne possède que 302 neurones. Le cerveau humain, lui, en contient environ 100 milliards pouvant faire chacun plusieurs milliers de connexions…

Mais Lichtman persiste à croire qu’une telle carte des connexions neuronale est essentielle pour voir comment circule l’information dans le cerveau pour produire des pensées conscientes.

Il est en ce sens un inductiviste comme Darwin, par opposition à la démarche déductive standard de la science moderne où l’on élabore un modèle d’abord, et on le test ensuite en le confrontant aux données empiriques. Lichtman pense que cette démarche est insuffisante à l’heure actuelle pour comprendre le cerveau parce qu’on sait encore trop peu de choses sur le câblage complexe de celui-ci pour élaborer des modèles efficaces.

 

Voilà qui aurait sans doute interpellé Socrate et sa technique de la maïeutique qui devait permettre à chacun de trouver en lui-même ses propres réponses, par déduction. Socrate questionnait si bien les gens qu’il rencontrait qu’il parvenait à leur faire trouver les réponses que les gens ne pensaient même pas connaître…

Et bien s’il faut en croire Lichtman, peut-être Socrate se serait-il aperçu, s’il avait vécu au XXIe siècle, que pour comprendre le cerveau, sa technique déductive était insuffisante…

Mais il ne faudrait pas enterrer le vieux Socrate trop vite puisque d’autres neurobiologistes pensent davantage comme Socrate pensait, en terme déductif… et curieusement, en invoquant les mêmes raisons de complexité que les inductivistes !

 

Pour eux, c’est justement parce que le cerveau est un système d’une grande complexité, avec une activité chaotique et des phénomènes épigénétiques nombreux, qu’on ne peut pas s’en remettre à la méthode inductive. Cela ne veut pas dire que des données issues de l’approche inductive ne fournissent pas certaines contraintes à l’intérieur desquelles on doit élaborer les modèles, mais que trop espérer d’une telle approche c’est s’empêcher de comprendre les phénomènes dynamiques complexes qui surviennent à tout moment dans le cerveau, soutiennent ces détracteurs. C’est aussi, selon eux, raisonner beaucoup trop en terme de modification causale dans telle ou telle voie, et pas assez en terme de probabilité d’occurrence de tel ou tel événement dans un système chaotique complexe. Et ils rappellent en cela qu’un système complexe n’est pas nécessairement la somme de ses parties, à plus forte raison quand un système biologique comme le cerveau est pourvu d’innombrables systèmes d’amplification du signal et de boucles de rétroaction.

 

 

Cet aspect dynamique de l’activité cérébrale est aussi abordé dans le thème sur la conscience du Cerveau à tous les niveaux, en rapportant, outre les travaux de Walter J. Freeman https://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_12/a_12_p/a_12_p_con/a_12_p_con.html#freeman, ceux de Francisco Varela https://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_12/a_12_p/a_12_p_con/a_12_p_con.html#varela .

 

Et d’ailleurs, en ce qui concerne Varela, j’aimerais signaler la projection d’un film à son sujet à la Nuit de la Philo :

 

 

Film: Monte Grande

La

Film sur la vie et l’œuvre de Francisco Varela.

Varela est important mais peu connu, il s'agit d'un individu qui a beaucoup influencé les sciences cognitives à la fin du XXe siècle, et sa pensée se situe à mi-chemin entre la science occidentale et la philosophie bouddhiste.

Participant: Bruno Dubuc
05:30  - 07:00
Local: J-1160

 

Les travaux de Varela ont entre autre contribué à reconsidérer la cognition comme se faisant à partir d’un corps donné, et pas seulement dans un cerveau isolé capable d’abstractions et de représentations. C’est tout le programme de recherche de la cognition incarnée qui est très actif depuis une dizaine d’années.

Mais justement, si cette pensée est profondément incarnée c’est qu’elle a toute une histoire, personnelle d’abord, durant la vie de l’individu, mais aussi et surtout, évolutive, durant les centaines de milliers d’années d’évolution de notre espèce.

Nous inventons donc toutes sortes de pensées complexes, mais on le fait avec un vieux « hardware », avec une machinerie qui a évolué d’abord pour bouger, se déplacer, trouver de la nourriture et un partenaire pour se reproduire. Et non pas pour jouer aux échecs, composer des symphonies, inventer des accélérateurs de particules ou faire de la philosophie. Mais c’est parce que nous avons été capables de réutiliser cette vieille machinerie pour de nouvelles fonctions que nous avons pu constituer un répertoire de connaissances si riche. Mais cela signifie aussi que ces pensées et ces connaissances ont été inévitablement influencées par des adaptations conçues à l’origine pour des fonctions fondamentales de perception et d’action.

S’intéresser, dans ce contexte, à ce que notre cerveau peut apprendre facilement et à ce qu’il a de la difficulté à comprendre, bref essayer de voir les limites de notre connaissance, c’est faire ce que les philosophes appellent de l’épistémologie, et c’est une chose que Socrate ne détestait pas faire du tout. Sauf que pour le faire convenablement au XXIe siècle, notre Socrate neurobiologiste n’aurait pas le choix que d’inscrire ses réflexions épistémologiques dans une perspective évolutive.

Mais pour revenir à notre longue histoire évolutive, une des choses qui la caractérise le plus est bien résumé dans la citation suivante du biologiste François Jacob :

 

Pour parler ce bricolage, je vais faire un petit détour par la perception visuelle.

 

Contrairement à ce qu’on pourrait souvent le croire, ce que nous voyons du monde ne nous est pas donné tel quel comme une simple photographie. Au contraire, les éléments d’une scène visuelle sont souvent ambigus et notre cerveau interprète constamment ces signaux pour construire une image qui a du sens pour nous. En fait, notre cerveau cherche tellement à mettre du sens partout qu’il en met souvent même là où il n'y en a pas, créant ainsi des illusions d’optique…

 

Et la façon dont il cherche à mettre du sens est très souvent influencée par sa longue histoire évolutive.

 

 

Par exemple ici, on a l’impression que c’est la ligne bleue verticale de droite qui est la plus longue. Mais notre cerveau est encore une fois trompé, ici par l’effet de perspective. Notre cerveau se dit sans doute quelque chose comme : « cette ligne est plus loin » (à cause de l’effet de perspective qui lui donne cette impression), et comme elle stimule exactement la même longueur de photorécepteurs sur la rétine de notre œil, notre cerveau nous convainc, subjectivement, psychologiquement, « qu’elle doit être plus longue si elle est plus loin ».

 

 

 

 

Et même quand on a constaté que les deux sont exactement de la même longueur en enlevant l’effet de perspective, et qu’ensuite on qu’on remet cet effet, eh bien on a encore l’impression que la ligne de droite est plus longue.

 

 

C’est dire à quel point notre cerveau utilise cet effet de perspective comme un puissant indice qui l’aide à nous représenter le réel. Parce que cet effet, il a évolué avec et il s’en sert depuis des milliers d’années… (ici j’ai pas les 2 bandes blanches seules, mais j’ai vérifié et elle sont bien de même longueur !).

 

D’ailleurs sur le sujet des illusions, outre la section qui y est consacrée sur notre site web au https://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_02/d_02_p/d_02_p_vis/d_02_p_vis.html , je vous signale une série de trois affiches très intéressante sur le sujet présentées dans le cadre de la Nuit de la Philo http://www.isc.uqam.ca/article.php3?id_article=270 :

 

Les illusions: monde réel, monde perçu

Nous offrons une installation explorant les limites de la perception humaine à travers, principalement, les illusions d'optique. Nous présentons un ensemble d'affiches expliquant les bases physiques, physiologiques (entres autres neuronales) et psychologiques de la perception. L'activité est conçue de façon à attirer le public vers une réflexion sur l'aspect subjectif de la réalité, de manière ludique . Les organisateurs seront présents à certaines heures pour présenter du matériel multimédia, répondre aux questions et animer les discussions.

Participants: Guillaume Chicoisne, Layiana Ali Ahmed, David-Luc Crépeau

Local: Passage du Rez-de-chaussée du premier étage.

 

L’influence de notre passé évolutif génère ainsi bien d’autres failles dans la pensée humaine : par exemple on a peur de voler en avion et on n’a pas peur de rouler en auto, alors que statistiquement il y a beaucoup plus de probabilité de mourir d’un accident d’auto que d’un accident d’avion; etc.

Pour le dire comme Gary Marcus, l’auteur d’un livre récent sur le sujet : “the ways we're stupid can help to reveal how the mind works.

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En réalité, y’a peut-être un peu moins de tuyau et de vis dans notre cerveau, mais quand même, à la suite de MacLean et de son vieux modèle du cerveau triunique https://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_05/d_05_cr/d_05_cr_her/d_05_cr_her.html , on peut certainement distinguer différents moments d’apparition pour différentes structure dans notre cerveau.

Et donc des structures plus anciennes et plus rigides, d’autre un peu plus récentes et qui amènent une coloration émotive, et d’autres plus récentes capables d’associations les plus diverses, de logique, d’abstraction… Et surtout capable d’apprendre toute la vie comme on l’a vu tantôt.

Et donc on peut, dans une certaine mesure, compenser pour les failles de notre pensée, pour ses prédispositions, si on connaît un peu d’où elles viennent. Par exemple, si on sait que l’être humain n’est pas particulièrement doué avec les statistiques, on peut y mettre plus de temps pour les maîtriser quand c’est important.

Parmi nos autres prédispositions évolutives il y a aussi notre tendance à associer illico presto une cause à un effet. Pourquoi cela? Parce que c’est ainsi que fonctionnaient nos ancêtres depuis des centaines de millions d’années : vous voyez quelque chose bouger, vous présumez que c’est un prédateur et vous fuyez tout de suite. Cause et effet: c’est une stratégie de survie qui s’est avérée payante ! C’est ce que montre par exemple l’animation de cette page de notre site : https://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_12/d_12_s/d_12_s_con/d_12_s_con.html

 

 

Parallèlement à ça, d’autres travaux nous révèlent à quel point nous sommes une espèce prédisposée à entrer en relation avec les autres.

 

 

D’autres études, par exemple celles citées dans notre site au https://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/outil_bleu27.html , montrent que notre cerveau est aussi prédisposé à vivre des expériences particulières, que certains qualifient de « mystiques », où les frontières habituelles du soi s’estompent.

Ces recherches suggèrent donc que les différentes religions humaines sont des artéfacts culturels comme les autres, construits sur des prédispositions naturelles et universelles du cerveau humain.

 

Cela expliquerait entre autre pourquoi l’athéisme est  aussi difficile à accepter. Croire est facile; rejeter la croyance « nécessite un effort ».

 

C’est pour ça je crois que Socrate, s’il vivait aujourd’hui et s’il était comme je le pense neurobiologiste, connaissant les prédispositions évolutives de son cerveau, se méfierait de sa croyance en un monde de l’au-delà.

 

 

Et comme dans le célèbre tableau de Raphael peint en 1509 et intitulé L’école d’Athène, il laisserait Platon pointer le ciel, et se rangerait sans doute aux côtés d’Aristote pour tendre la main vers la Terre (vers le monde immanent en face de lui).

 

Et dans le cas de Socrate, cette main serait peut-être même…

…sur un clavier d’ordinateur, en train de…

…lire sur le cerveau sur quelques bons sites Internet !

Et c’est ce que je vous invite à faire aussi.

À devenir des Socrates de votre temps…

Fin.