*1
La
conscience humaine :
l'apport des neurosciences
L’année
passée j’avais fait une présentation beaucoup plus générales sur quelques concepts neurobiologiques utiles pour les
philosophes. Cette année c’est un peu plus costaud comme sujet,
mais ça se veut d’abord et avant tou une introduction.
*2
« Avertissement : étudier la conscience va changer votre
vie. »
« Aucun d’entre nous ne peut espérer comprendre véritablement ce
qu’est la conscience. Je ne suis même pas certaine de ce que ça voudrait
dire. »
- Susan Blackmore, Consciousness: An Introduction, 2003, p.5
*3
Je voudrais rappeler que :
•
je ne suis pas chercheur
en psychologie, en neurosciences, et encore moins sur la conscience (bien que
j’aie une formation en neurobiologie)
•
je suis encore moins conférencier ou
professeur
•
je ne suis pas un spécialiste mais un simple
rédacteur scientifique
•
il 6 ans, j’ai conçu le site le
cerveau à tous les niveaux, fruit des frustrations
accumulées au cours de ces 10 années en communication scientifique sur le
cerveau.
*4
•
le thème sur la
conscience est le plus complexe de tous ceux que j’ai écrit à date (et les
autres n’étaient pas faciles)
•
je n’ai même pas fini
de le rédiger !
Après 3 mois de lecture je commence à peine à
m’y retrouver… d’où ma présentation qui est pas mal écrite pour ne pas trop me
perdre.
Mais alors, pourquoi en
parler ?
Parce que c’est un
sujet fascinant, et que je n’ai pas pu
résister à la tentation de venir en discuter avec vous durant cet événement génial
qu’est la Nuit de la Philo…
*5
Donc ce que je vais essayer de faire, ce n’est
certainement pas de vous expliquer ce qu’est la conscience humaine, mais
peut-être un peu ce qu’elle n’est pas.
Pour ce faire, je vais essayer de faire un survol très
rapide, de ce qu’on appelle…
Plan
1-
le problème difficile de la conscience
2-
les approches philosophiques (qu’on
a pu prendre par rapport à ce problème depuis les premiers philosophes de
l’Antiquité jusqu’au siècle dernier))
3-
les approches des sciences cognitives (qui ont connues un essort important à partir du milieu du XXe siècle)
Pour en arriver ensuite au cœur de
ma présentation qui porte sur…
4-
les approches des neurosciences cognitives (c’est-à-dire qu’ en décrivant certains résultats
expérimentaux dans le domaine des neurosciences, je vais d’abord essayer de
mettre en évidence quelques failles dans la conception courante que l’on a de
la conscience…)
a)
les failles du modèle courant
Et par la suite terminer en considérant quelques
concepts et modèles prometteurs qui tentent de prendre en compte ces
données-là.
b)
quelques modèles prometteurs
*6
1-
le problème difficile
*7
Qu’est-ce que la conscience ?
nous employons le mot
conscience à différentes sauces, ce qui constitue un obstacle de taille à son
étude
*8
•
le fait de ne pas être
endormi ou d’être « sans connaissance »
•
le fait de porter
attention à un stimulus externe particulier, comme à un obstacle qui se dresse
devant nous, ou à un état mental comme un souvenir, une émotion, etc.
•
notre état de base qui
peut être modifié par la prise de drogues ou par des troubles mentaux comme la
dépression, la schizophrénie, etc.
•
la conscience de soi
comme construction autobiographique qui nous donne le sentiment d’être la même
personne que la veille
*9
•
notre capacité à nous
diagnostiquer des intentions et des motivations suite à une introspection de
nos comportements
•
l’appréciation morale
que l’on porte sur ces comportement et qui nous donne l’impression d’avoir bien
ou mal agi avec autrui
•
cette petite voix intérieure
omniprésente mais qui ne représente pourtant qu’une infime proportion de
l’ensemble de nos processus cérébraux
•
Etc.
*10
La conscience humaine pose à la science un problème
différent dans sa nature
(que les autres phénomènes
physiques)
La conscience se distingue
par :
- sa nature privée,
accessible seulement du point de vue du sujet conscient
(alors que les
phénomènes pysiques sont accessibles à tous. )
- son caractère ineffable,
difficile à rendre compte dans les termes du langage
- la difficulté de savoir
« l’effet que cela fait » d’être un être humain plutôt qu’une
chauve-souris
(Dans un
article de 1974 intitulé « Quel effet cela fait d’être une chauve-souris
? » ("What is it Like to Be a Bat?", en anglais), le
philosophe Thomas Nagel, a voulu mettre en évidence ces
propriétés subjectives de l’expérience consciente humaine. Pour ce
faire, il choisit d’imaginer le point de vue subjectif d’un animal au spectre
sensoriel très différent du nôtre : la chauve-souris. Cet animal s’oriente
en effet dans l’espace par écholocation. Cela signifie qu’elle émet des cris à
très haute fréquence et utilise l’écho renvoyé par les obstacles pour les
localiser.
L’idée de Nagel était de montrer que comme les
humains sont incapables d’écholocation, il ne pourront jamais ressentir
subjectivement « l’effect que cela fait » de s’orienter ainsi. Les
chauves-souris ne perçoivent peut-être pas l’écholocation comme des sons, mais
directement comme des objets perçus (un peu comme la vision ne nous fait pas percevoir
des ondes électromagnétiques mais des objets lumineux), mais ça, nous ne le
saurons jamais. )
*11
Le problème est celui de la subjectivité de la
conscience
n
Cet aspect
subjectif de « ce que cela fait » d’avoir tel ou tel état conscient,
on le nomme aussi l’aspect phénoménologique de la conscience.
n
On parle aussi
souvent de « qualia » : toutes les impressions directes que
nous avons des choses, comme par exemple « la rougeur particulière d’une
pomme que nous voyons », ou la « douleur spécifique de cette aiguille
dans notre doigt »
*12
En 1994, le philosophe David Chalmers propose de
distinguer les difficultés que pose l’étude de la conscience en deux problèmes
distincts :
le « problème
facile »
le « problème
difficile » de la conscience.
*13
le « problème facile » de la conscience
problèmes faciles dans la
mesure où guérir le cancer ou envoyer quelqu’un sur mars est facile…
problèmes qu’on est loin
d’avoir résolu, mais dont les scientifiques ont une bonne idée des étapes qui
leur reste à parcourir pour y arriver
concrètement : trouver
les processus cérébraux qui sous-tendent
des phénomènes comme la perception
visuelle, la mémoire, l’attention, les émotions, etc.
*14
le « problème difficile » de la conscience
découle de l’aspect phénoménologique
de la conscience
autrement dit, c’est
d’expliquer « l’effet que cela fait » d’être soi ou encore comment on peut ressentir subjectivement des
qualia
il ne s’agit pas seulement
d’identifier les circuits nerveux qui nous permettent de distinguer la couleur
rouge de la couleur verte (problème facile), mais d’expliquer comment cette
impression subjective particulière de la « rougeur » de quelque chose
peut surgir de l’activité de nos circuits de neurones.
*15
Plan
1- le problème difficile
2- les approches philosophiques
3- les approches des
sciences cognitives
4- les approches des
neurosciences cognitives
a) les failles du modèle classique
b) quelques modèles
On va passer vite sur les différentes approches
philosophiques car le but n’est pas de faire une présentation détaillée des
différents courants en philosophie de l’esprit, mais seulement avoir à l’esprit
les principales grandes positions possibles pour pouvoir mettre en perspective
les différentes autres approches qu’on va présenter par la suite…
Voici donc, en
une dizaine de diapos, plusieurs
siècles de débats.
*16
Différentes options philosophiques sont possibles
face au problème difficile :
Idéalisme
Dualisme
Matérialisme
L’option
« mystérienne »
*17
Idéalisme
position radicale proposée
par George Berkeley au XVIIIe siècle
Tout ce que l’on ressent du
monde ne correspondrait à rien « à l’extérieur de nous ».
Toutes nos expériences
conscientes seraient les mêmes, mais il n’y aurait rien d’autre dans le monde
que ces expériences conscientes, justement.
constitue un affront au sens
commun qui déjà était rejeté par plusieurs de ses contemporains
mais difficile à
disqualifier : toute preuve concrète du monde physique peut toujours être
transformé en une impression de ce monde
ses avantages philosophique
ont influencé toute une tradition de penseurs (Hegel, Schopenhauer, Husserl,
Bergson, etc).
*18 et 19
Idéalisme
Bref, pour un
spiritualiste :
What is
mind? No matter.
What is matter? Never mind.
*20
Dualisme
les aspects subjectifs de la
conscience sont de nature distincte de l’activité cérébrale (dualisme de
substance)
soulève immédiatement la
question de l’interaction entre ce monde subjectif et le monde physique,
question très difficile à répondre pour le dualisme
René Descartes pensait que
les échanges entre le corps matériel et l’âme immatérielle se faisaient par la
glande pinéale (dont le rôle dans l’horloge biologique humaine a depuis été reconnu)
3 variantes:
n
Le dualisme de propriété
n
L’émergentisme
n
L’épiphénoménalisme
*21
Le dualisme de propriété
on admet que
l’être humain n’est constitué que de matière, mais celle-ci possèderait deux
types bien distincts de propriété.
la douleur aurait
par exemple une propriété physique (les fibres C qui émettent des potentiels
d’action) et, en même temps, une propriété consciente (le sentiment douloureux)
Un des arguments
des dualistes de propriété est qu’il est simplement possible d’imaginer
que l’esprit survit au corps après la mort.
Ou encore :
si l’on ne peut pas rejeter qu’un zombie aux caractéristiques physiques
identique aux nôtres puisse exister sans esprit, c’est donc que les deux
propriétés peuvent être séparées
*22
L’autre argument
est celui de la connaissance : déjà
présenté par Leibniz au XVIIe siècle et réactualisé par le philosophe Frank
Jackson sous forme de petite fable d’anticipation.
(Supposons, dit-il, qu’une grande
spécialiste de la couleur aurait tout appris ce qu’elle sait dans les livres,
saurait absolument tout de la façon dont le cerveau humain perçoit la couleur,
mais n’en aurait jamais vu une de sa vie. Le jour où elle voit une rose pour la
première fois, elle apprendra quelque chose de plus sur la couleur : ce
que cela fait de voir du rouge. Ce qui prouve, selon lui, qu’il y a deux
catégories distinctes de propriété à la matière. )
(Pour un dualiste de propriété comme
David Chalmers, cette option ) ne constitue pas un rejet
de la science mais un appel à élargir ses horizons,
(un peu comme la reconnaissance de
l’électromagnétisme au XIXe siècle; on aurait bien voulu décrire
l’électromagnétisme à partir d’éléments connus mais on a dû reconnaître qu’il
s’agissait d’une nouvelle caractéristique de la nature. L’aspect phénoménal des
choses est aussi, pour Chalmers, une caractéristique originale de la matière. )
Mais la question
de savoir comment les états subjectifs peuvent influencer la matière sans
violer les principes de la physique demeure irrésolue.
Mène au panpsychisme,
c’est-à-dire à l’idée que toute matière (même un thermostat, même une roche…)
possède certaines propriétés conscientes
*23
L’émergentisme
une
configuration particulière et complexe de matière peut produire quelque chose
qui est plus que la somme de ses composantes, en l’occurrence ici, la
conscience subjective.
ces propriétés
émergentes sont irréductibles aux propriétés de base dont elles émergent -
c'est-à-dire qu'elles ne peuvent ni être prédites, ni être expliquées à partir
de leurs conditions sous-jacentes.
l’exemple
classique est celui des atomes qui s’unissent pour former une molécule aux
propriétés différentes (par exemple, à la
température de la pièce, l’hydrogène est gazeux et l’oxygène aussi, mais le
H2O, i.e. l’eau qui résulte de leur union, est liquide)
l’action
inverse, c’est-à-dire comment cet esprit émergent pourrait exercer une
influence indépendante sur les opérations concrète du cerveau, est encore une
fois beaucoup plus difficile à expliquer
*24
l’épiphénoménalisme
reconnaît des
influences causales du cerveau à l’esprit, mais non de l’esprit au cerveau
respecte la
causalité fermée du monde physique car aucun état mental ne peut influencer le
cerveau
les états
mentaux existent, mais ils n’ajoutent rien au fonctionnement physique du
cerveau.
notre
comportement demeurerait exactement le même si nous étions des zombies
l’impression que
nos intentions, nos désirs et nos sentiments affectent directement nos
comportements n’est qu’une illusion
(comme un enfant avec un volant de
plastic sur le siège du passager à côté de son père qui conduit son auto :
l’enfant, tout entier dans son jeu, pense que c’est lui qui conduit, comme nous
nous pensons que c’est notre esprit qui conduit, mais pour l’épiphénoménalisme,
ce n’est pas lui. )
(David Chalmers a tenté de montrer la
difficulté d’une telle position en se caricaturant comme un zombie sans états
mentaux en train de discuter de la conscience avec d’autres philosophes
zombies…)
*25
n
Idéalisme
n
Dualisme
n
Matérialisme
n
L’option
« mystérienne »
*26
Matérialisme
il n’y a qu’une seule
substance dans le monde, dans ce cas-ci la matière
(comme l’idéalisme, il s’agit d’une option moniste,
i.e. qui affirme que le monde n’est fait que d’une seule substance, et non pas
de deux, comme le dualisme)
les états
conscients ne sont donc pas des états distincts des états physiques : il y
a une identité entre les deux
la causalité des
états mentaux sur nos comportements ne pose pas de problème puisque les deux
font partie du monde physique
(La version matérialiste standard ne nie
pas l’existence de l’expérience consciente. Elle ne fait qu’affirmer que la
douleur par exemple correspond aux états neuronaux qui la font naître.)
pas de logique binaire
comme les dualiste quant à la présence ou l’absence de la substance consciente
autre chez tel animal ou telle machine, les matérialistes considèrent le
« ce que cela fait d’être… » tel ou tel animal comme un continuum.
*27
Matérialisme (suite et fin)
Dans cette
optique matérialiste, le zombie identique de la métaphore de Chalmers serait
donc nécessairement aussi conscient que nous.
(Un peu comme Chalmers l’avait fait avec
l’électromagnétisme, les matérialistes peuvent aussi faire une analogie avec la
physique du XIXe siècle pour appuyer leurs dires en prenant l’exemple de la
température. Au lieu de faire intervenir une nouvelle composante à la réalité
pour l’expliquer (comme la force électromagnétique), la température fut
expliquée dans les termes d’entités mécaniques encore plus simples :
l’énergie cinétique moyenne. La température continue d’exister pour nous, mais
on sait maintenant qu’elle correspond à l’agitation moléculaire moyenne.
Les matérialistes appliquent donc cette
même logique à la conscience : les états conscients existent mais pas
comme quelque chose en extra par rapport à l’activité cérébrale. )
la difficulté est
d’expliquer comment l’objectif et le subjectif peuvent être identiques
considérant qu’ils ont l’air si différents.
2 variantes
possibles :
le matérialisme éliminativiste : version radicale qui affirme que tout
se ramène aux « problèmes faciles » décrits par Chalmers.
(pour eux, quand nous aurons
décrit le fonctionnement de tous les processus cérébraux à l’origine des
différentes composantes de la conscience, nous aurons dit tout ce qu’il y a à
dire sur celle-ci)
le fonctionnalisme matérialiste :
l’expérience consciente ne correspond pas à un certains types d’activité
physique mais à certaines propriétés structurelles du cerveau
(L’analogie est ici celle du hardware et
du software en informatique : i.e. que différents types d’ordinateur (le
hardware) peuvent jouer le même programme, le même software. Donc différents
types de cerveaux (ou même des machines) peuvent avoir des états conscients
similaires s’ils ont des modules structurels qui accomplissent les mêmes
fonctions. C’est l'argument qu’on appelle « de la réalisation
multiple », i.e. sur de multiples substrats.)
*28
L’option mystérienne
le problème difficle est
irrésoluble et que la conscience restera toujours un mystère.
Une variante (Colin
McGinn) : le vertige du problème difficile n’est dû qu’aux capacité
cognitives restreintes de notre cerveau, incapable de se représenter comment
l’activité neurale peut produire un sentiment subjectif, comme il est incapable
de retenir 100 chiffres dans sa mémoire de travail ou de visualiser un espace à
7 dimensions.
*29
1- le problème
difficile
2- les approches
philosophiques
3- les approches des sciences cognitives
4- les approches
des neurosciences cognitives
a) les failles du modèle classique
b) quelques modèles prometteurs
*30
Quelques grands courant de pensée du XXe siècles
qui ont influencé l’étude de la conscience :
Behaviorisme
Le mouvement
cybernétique
Le cognitivisme
Le connexionnisme
L’Énaction
*31
Behaviorisme :
réaction à l’idéalisme qui
se dévelooppe au début du XXe siècle;
son influence dure jusqu’aux années 1960
pour ses pionniers, John B.
Watson et B. F. Skinner, le cerveau et l’esprit sont une boîte noire fermée à
l’expérimentation scientifique, et toutes les théories psychologiques doivent
être basée uniquement sur le comportement (stimuli et réponses )
la structure de notre esprit
est entièrement façonnée par les récompenses et les punitions de notre
environnement, et par aucune influence génétique.
pour plusieurs, le behaviorisme est vu comme une réaction exagérée à
l’idéalisme radical. la vieille blague sur le behavioriste A qui rencontre le
behavioriste B et qui lui dit : « Vous allez bien aujourd’hui ! Et
moi, comment vais-je ? »…
*32
Le mouvement cybernétique
c'est la science générale de la régulation et des
communications dans les systèmes naturels et artificiels qui émerge dans les
années 1940 et 1950
elle étudie comment circule l'information et quelle est
la fonction de cette information dans les interactions systémiques
les interactions entre les éléments d’un système peuvent
consister en des échanges de matière, d’énergie, ou d’information
les concepts de la cybernétique ont profondément
influencé tous les domaines de la science (biologie, économie, écologie, etc.);
(WIENER, SHANNON, McCULLOCH,
VON FOERSTER, von NEUMAN, etc)
(Voir la capsule cybernétique
*33
Le cognitivisme
Dans les années
1960, l’émergence de disciplines comme la linguistique amène des auteurs comme
Noam Chomsky à mener une attaque en règle contre le behaviorisme.
la cognition
devient la manipulation de symboles à la manière des ordinateurs digitaux.
Penser, ce serait manipuler des symboles; la cognition serait représentation
mentale.
Dans la mouvance des
approches dites fonctionnaliste inspirées par les
travaux de Jerry Fodor1, élève d’Hilary Putnam : l’esprit
est organisé en modules spécialisés, qui peuvent être mis en place dans
d’autres supports (comme les ordinateurs); c’est l'argument
qu’on appelle « de la réalisation multiple »
la
simulation et la modélisation informatique peuvent fournir de nouveaux moyens
d'étudier le fonctionnement de l'esprit (intelligence artificielle)
(Pour les fonctionnalistes, les états
mentaux doivent être identifiés en fonction de leurs causes et de leurs effets.
Autrement dit, ils sont des intermédiaires qui naissent des perceptions et
affectent les comportements via leur interaction avec d’autres états mentaux.
La douleur est un état mental qui origine d’un dommage corporel et qui amène un
autre état mental qui serait ici le désir d’éloigner le corps de la source de
cette douleur et un comportement résultant de l’interaction de ce désir et
d’autres croyances et désirs que possède cet individu.
Mais même si pour les fonctionnalistes
les états mentaux sont internes, ils ne les identifient pas aux qualias, à des
sentiments purement subjectifs. Les états mentaux sont pour eux internes et
inobservables, mais la plupart les considèrent tout de même comme des parties
objectives du monde causal scientifiquement observable. Ils les associent donc
à d’autres objets que l’on ne peut observer directement comme les quarks ou les
atomes.)
*34
Le connexionnisme
L’autre grand courant des
sciences cognitives, avec le cognitivisme, qui se concentre sur les concepts de
réseaux de neurones et d’émergence
Partageant
avec le cognitivisme l'idée de représentation, il rejette en revanche
l'hypothèse d'un fonctionnement cognitif symbolique.
une opération cognitive ou
un comportement est le résultat émergent d’un grand nombre de petites unités
interconnectées qui, quand ils sont connectés selon des règles appropriés,
donnent lieu à un comportement global (sans pilote central )
La représentation consiste
ici en la correspondance entre un état global émergent du réseau et des propriétés
du monde.
*35
L’Énaction
À la fin des années 1980,
Francisco Varela propose ce concept qui marque une rupture avec le concept de
représentation du cognitivisme et du connexionnisme
reproche au cognitivisme
d’oublier notre conscience, notre expérience
et notre engagement dans le monde, et au connexionnisme qui considère le
cerveau comme un ensemble hétérogène de réseaux interconnectés, de diluer
totalement le soi.
Veulent une inscription
corporelle de l’esprit : la structure d’un organisme détermine le type de
cognition
Ce qui fait sens pour nous
ne passe pas par des représentations mais
dépend de nos capacités
sensori-motrices dans un environnement donné
Nous sommes dans un monde
qui semble avoir été là, avant que la réflexion ne commence, mais ce monde
n’est pas séparé de nous, il est trouvé par nous; dynamique entre le cerveau,
le corps et l’environnement
*36
Plan
1- le problème difficile
2- les approches
philosophiques
3- les approches des
sciences cognitives
4- les approches des neurosciences cognitives
a) les failles du modèle classique
b) quelques modèles prometteurs
*37
D’abord: Qu’est-ce que les neurosciences ?
regroupent toutes les
sciences nécessaires à l'étude de l'anatomie et
du fonctionnement du système nerveux, comme par
exemple :
Parmi tous les outils associés à ces disciplines, les
techniques d'imagerie cérébrale,
développées dans les années 1970 et 1980, et largement accessibles depuis les
années 1990, sont celles qui vont véritablement faire entrer les neurosciences
dans les sciences cognitives, donc dans l’étude de nos fonctions supérieures
comme la conscience.
(voir la capsule imagerie
cérébrale et protocole
de cartographie fonctionnelle du cerveau avec IRMf et TEP)
*38
Les neurosciences cognitives
ce sont les sciences
cognitives qui intègrent les neurosciences pour étudier nos fonctions
supérieures comme la conscience
Le principe de base de
l’approche des neurosciences cognitive : à tout état mental (perçu,
ressenti, et donc subjectif) correspond un état neural (un état physique du
cerveau, observable, mesurable, et donc objectif)
programmes de recherche
visant à l’identification de ce que l’on appelle les « corrélats neuronaux de la conscience », c’est-à-dire des
processus qui surviennent dans les circuits du cerveau lors d’une expérience
consciente particulière
*39
Les neurosciences
cognitives (suite et fin)
pour leur
ambition de comprendre les mécanismes de la pensée selon une vision moniste matérialiste,
les neurosciences cognitives font l'objet de critiques de la part des autres
courants philosophiques (que l’on a
rapidement présenté tantôt)
on leur
reproche d’être trop réductionnistes ou éliminativistes ; certains
neuroscientifiques sont effectivement ultra-réductionniste, d’autres moins
certains rappellent qu’il y
a 20 ans c’était encore l’IA qui spécifait les objets d’étude des sciences
cognitives et que certains neurobiologiste ont un peu même discours que
les premiers cognitivismes issu de
l’intelligence artificielle, celle de dire que la démarche sérieuse aujourd’hui
c’est eux qui l’ont
ou alors
on leur reproche de perdre de vue la complexité des phénomènes mis en évidence
par la linguistique, l'anthropologie, la psychologie, la sociologie ou la
psychiatrie.
les
neurobiologistes cognitives répondent qu’ils tentent de dresser des ponts entre
l'exploration des mécanismes cérébraux et justement la richesse des phénomènes
cognitifs.
(Et c’est donc cette démarche-là
que je vais essayer de vous présenter durant le reste de l’exposé.)
*40
Plan
1- le problème difficile
2- les approches
philosophiques
3- les approches des
sciences cognitives
4- les approches des
neurosciences cognitives
a) les failles du
modèle classique
b) quelques modèles prometteurs
*41
Le modèle classique de la conscience
c’est le modèle qualifé par
certains de « réaliste naïf », celui du sens commun que nous avons souvent par défaut : on a
l’impression d’être confortablement assis dans notre tête et d’assister à ce
qui se passe dans le monde et dans notre conscience comme un spectateur qui
regarde un film.
Daniel Dennett a surnommé ce
modèle le « théâtre cartésien »; les idées y sont examinées « à
la lumière de la raison » qui les éclaire comme un projecteur
s’accorde avec un grand
nombre de métaphores sur la pensée, l’attention, la perception, l’intention (dont
plusieurs du congnitivisme et du connexionnisme)
les idées et les images
mentales sont accessibles à conscience sur demande et les actions sont choisies
librement
*42
Le modèle classique de la conscience (suite)
les mécanismes de la
perception et de l’action sont complètement transparents et accessibles à
l’examen de la conscience
la cognition inconsciente n’est
pas reconnue dans ce modèle
la perception est une
fenêtre transparente sur le monde et les actions ont comme causes suffisantes
les intentions générées par la conscience
ces intentions se forment
dans la conscience sur la base de prémisses consciemment accessibles
implique qu’il y a un
endroit précis où la conscience jaillit de façon tout ou rien
*43
Le modèle classique de la conscience (suite et fin)
la conscience est vue comme
un contenant d’idées et d’images, avec une fenêtre sur le monde pour la
perception d’un côté et pour l’action de l’autre
(Devant ce modèle de la conscience,
comme devant n’importe quel autre modèle, la démarche scientifique va tenter de
l’infirmer, de le falsifier, de voir si par exemple on ne pourrait pas le
prendre en défaut sur certains points, sur la présence de processus inconscient
par exemple, sur un caractère graduel de la conscience, etc…)
(Et c’est ici que les données
expérimentales des neurosciences vont être très utiles. Mais avant de les
aborder, j’aimerais faire une petite parenthèse pour dire qu’une prémisse de
l’expérimentation scientifique, c’est de pouvoir considérer son objet d’étude
comme une variable … )
*44
La conscience comme une variable
Plusieurs percée
scientifique importante sont venues du fait qu’un entité qu’on assumait comme
une constante, comme la gravité ou la pression atmosphérique, s’est avéré être
une variable
La première étape est
toujours de trouver au moins un autre état possible pour permettre une
comparaison : la gravité terrestre comparée à la gravité presque nulle
dans l’espace
C’est en imaginant
différentes grandeurs et différentes directions à la gravité que Newton a pu
solutionner le vieux problème du mouvement des astres
Découvrir des conditions de comparaison
a été la clé permettant l’émergence de disciplines entière comme la
biologie (les espèces ne sont pas fixes mais varient sur des temps
géologiques), les sciences de la Terre (la position des continents n’est pas
stable mais à la dérive), etc.
Et toutes ces percées se
sont heurtées, comme pour la conscience actuellement, à de fortes résistances à leur époque…
(on va essayer de regarder
pour la conscience quels pourraient être ces conditions de comparaison… Et
comme on va le voir, les candidats sont nombreux…)
*45
Données des neurosciences
cognitives mettant en évidence des failles dans le modèle classique
n
circuits spécialisés inconscients n cécité au changement n
dissociations spectaculaires n
stimuli illusoires n vision aveugle |
n cerveau est divisé n
conscience
modifiée par l’apprentissage n
va-et-vient graduel entre conscient et inconscient n la conscience correspond à un pic |
(je vais essayer de vous donner rapidement des exemples
de ces phénomènes comme autant de failles possibles à exploiter pour d’autres
modèles de la consciences, et où l’on verra effectivement dans la dernière
partie à travers quelques uns de ces modèles comment ces données sont prises en
comptes…
Donc je n’essaierai pas de vous faire une explication
complète de chacun de ces phénomènes étant donné le peu de temps qu’on a, mais
plutôt vous en donner un espèce d’aperçu impressionniste permettant de montrer
les failles du modèle classique…)
*46
Les circuits spécialisés inconscients
à bien y regarder, on se rend
vite compte que nous accomplissons une multitude de tâches de façon
inconsciente et que ces processus sont beaucoup plus nombreux que les actions
conscientes.
il ne s’agit pas ici bien entendu de l’inconscient au sens freudien mais
bien tout ce que nous faisons sans y penser, de façon automatique
(marcher, parler, écrire, saisir un objet, conduire son vélo, etc)
les deux processus,
conscient et inconscient, peuvent fonctionner en même temps
exemple : lors d'une discussion, nous formons des pensées conscientes
en même temps que nous utilisons de manière complètement automatique (ou inconsciente) la syntaxe et le vocabulaire de
notre langue maternelle.
(imaginez ce que ce serait si nous
devions se rappeler consciemment la règle de grammaire sous-jacente à l'énoncé
chaque fois que nous voulons parler… ça donnerait ce que ça donne quand on
apprend une nouvelle langue…)
autre exemple : la très grande majorité de tous nos souvenirs sont, à
un moment donné, inconscient. On peu se les remémorer consciemment, mais ils
sont à l’état de traces inconscientes dans notre système nerveux la majorité du
temps
(on sait que ces souvenirs inconscients peuvent
influencer des processus congnitifs sans qu’on en ait conscience. Si on vous
donne une longue liste de mots à mémoriser où figure plusieurs fois le même
mot, vous aurez plus de facilité à vous remémorer ce mot, sans même avoir
remarqué qu’il était plus fréquent que les autres.
(une bonne part de la
publicité depend d’ailleurs de ce principe de reconnaissance préférentielle
inconsciente…)
*47
Les circuits spécialisés inconscients (suite et fin)
Une première approximation
nous permet donc déjà de distinguer deux sous-système :
n
un premier,
largement conscient, souvent verbal ou visuel, et fonctionnant de façon sérielle
« on ne peut penser à plus d’une chose en même temps »
n un second, largement inconscient, souvent
affectif, réagissant automatiquement aux stimuli et constitué de nombreuses
unités fonctionnant massivement en parallèle
cela n’implique cependant pas nécessairement qu’il
s’agisse de deux systèmes anatomiquement distincts.
L’évolution
« pousse » vers des processus inconscients (Michael Gazzaniga)
la conscience et les processus inconscient,
sont donc un peu le Dr. Jekyll et Mr. Hyde du cerveau !
*48
La cécité au changement
Notre
conscience est-elle si unifiée et détaillée que que le modèle classique le
laisse entendre ?
quand on regarde une scène visuelle comme un paysage,
on a l’impression d’être conscient de l’ensemble de la scène, de toute sa
richesse, et que si quelque chose apparaît ou disparaît dans la scène, on le
remarquerait
Et c’est vrai que l’apparition ou la disparition de
quelque chose crée un mouvement dans la scène que l’on détecte facilement et
vers lequel on oriente immédiatement le regard
Mais qu’arrive-t-il si on masque cette apparition ou
disparition en faisant clignoter toute l’image ? Remarque-t-on le changement facilement ?
*49
*50
*51
La cécité au changement (suite)
n
Ce phénomène
suggère qu’à chaque instant, une très faible proportion d’une scène visuelle
est traitée consciemment et que nous ne formons véritablement jamais une
représentation détaillée de l’ensemble d’une scène visuelle
n
Nous avons
l’illusion d’être pleinement conscient de toute la scène parce que nous savons
que nous pouvons à tout moment changer notre attention d’un point à l’autre de
la scène
n
L’ensemble de la
scène serait traité, mais à un niveau préconscient seulement
(expliquer le changement de la personne qui
demande son chemin avec une carte, dans l’expérience de Daniel Simons effectuer
sur un campus universitaire)
*52
dissociations spectaculaires
encore
ici certains aspect du modèle de la conscience unifiée est mis à mal…
plusieurs données montrent que
certains aspects de la conscience qui semblent
unifiés sont en fait dissociables
nous
allons en examiner deux exemples pris dans le domaine de la perception visuelle
consciente. Pour comprendre ces exemples, j’aimerais d’abord faire un petit
rappel sur
l’’hypothèse
des deux systèmes visuels dans le
cerveau humain : sur la base de données anatomiques et
neuropsychologiques, on a pu distinguer :
la voie ventrale qui sous-tend la “vision pour la
perception” (le Quoi ?) impliquée dans la formation de
représentations conscientes de l’identité et de la valeur affective des objets
et la voie dorsale qui sous-tend la “vision pour
l’action” (le Où ?) et qui servirait à guider en temps réel
les actions que nous dirigeons vers des objets du monde visuel – le traitement
étant ici largement inconscient.
Les deux voies aboutissent éventuellement au cortex
prémoteur et moteur.
(voir le 3e dessin
de la page : https://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_02/d_02_cr/d_02_cr_vis/d_02_cr_vis.html#3
)
*53
2 exemples
de dissociations
un trouble de la perception qu’on appelle l’agnosie visuelle de la forme (ou
agnosie aperceptive), où le patient est incapable de reconnaître visuellement
la taille, la forme et l’orientation d’un objet qu’il peut néanmoins saisir
entre le pouce et l’index.
et l’inverse : un trouble visuomoteur appelé l’ataxie optique, où les personnes sont
ici incapables d’atteindre et de saisir les objets dont ils peuvent
cependant reconnaître visuellement la taille, la forme et l’orientation.
Dans les deux cas, on a affaire à une dissociation complète
entre le traitement perceptif conscient et visuomoteur inconscient.
*54
Les stimuli
illusoires
Le même
phénomène de dissociation a pu être observé par le psychologue canadien Mel
Goodale chez des sujets sains avec des illusions d’optique comme celles où le
contexte influence la perception de la taille d’un objet.
une pastille de
poker entourée de plus grosses pastilles paraît consciemment plus petite qu’une
autre entouré de plus petites.
(La preuve à la page : https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_02/i_02_p/i_02_p_vis/i_02_p_vis.html
)
*55
Notre
perception a beau être influencée par
l’illusion de
présentation, ce n’est pas le cas des actions que nous dirigeons
vers ces deux
disques (présentés cette fois
comme des
objets concrets).
Si l’on vous
demande de
saisir le
disque central et que l’on mesure la distance
séparant vos
doigts alors qu’ils exécutent le mouvement
correspondant,
on constate que cette distance
reflète la
taille réelle du disque central, quel que soit
le contexte dans lequel il est présenté
Ce résultat
indique une fois de plus que perception et action sont
dissociables et il appuie
le fait que bien des comportement sont contrôlés par des processus inconscients.
*56
Un autre exemple
de ce phénomène est illustré par
la vieille boutade qui dit que si on veut déconcentrer son adversaire au tennis par exemple (image 1), on n’a qu’à
le complimenter sur la fluidité de son mouvement, la précision de son geste,
l’harmonie de son corps qui bouge….
*57
Du coup, il va en prendre conscience, chassant par
des mouvement conscient la parfaite précision de ses mouvements inconscients
issus d’années de pratique, et va envoyer la balle dans le filet…
*58
La vision aveugle.
La présence à la fois d’un aspect
conscient et d’un aspect inconscient dans la vision, nous le retrouvons aussi
dans le phénomène de la vision aveugle.
Encore ici, la connaissance qu’apportent
les neurosciences sur les voies nerveuses sous-jacentes vient éclairer un
phénomène à première vue tout à fait étrange et mystérieux
Les patients atteints de « vision
aveugle », ou plutôt de vision résiduelle, souffrent d’une lésion dans
l’un des deux cortex visuel primaire
(voir le dernier dessin de la page : https://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_02/a_02_cr/a_02_cr_vis/a_02_cr_vis.html#2
).
Il en résulte que les entrées visuelles atteignent
les premiers relais sous-corticaux (CGL, collicules supérieurs, etc) mais sont
déconnectées du cortex visuel primaire et que donc ces patients n’éprouvent
aucune expérience visuelle dans leur hémi-champ aveugle.
les patients souffrant de
vision aveugle ont de surprenantes capacités visuelles résiduelles qui ne sont
pas accompagnées d’une conscience visuelle du stimulus (ils rapportent n’être
conscient d’aucune sensation visuelle dans leur hémichamp aveugle)
mais si un stimulus lumineux
est présenté dans cette région-là et qu’on demande à la personne de nous dire
s’il y avait un stimulus ou pas en « prenant une chance », celle-ci
réussi la plupart du temps avec précision !
quand on leur indique leur
succès, ils demeurent incrédules, convaincu qu’ils sont d’avoir choisi au
hasard.
La vision aveugle pourrait
être rendue possible grâce aux structures sous-corticales (CGL…) ainsi qu’à un faisceau
de fibres qui vont directement du corps géniculé latéral [lien] aux aires
visuelles V4 et V5, sans passer d’abord par l’aire visuelle primaire V1. On
connaît mal le rôle de ces projections.
Mais si l’aire visuelle primaire semble essentielle
pour la vision consciente, plusieurs comportements guidés par la vision ne
requièrent, eux, aucun contrôle conscient.
*59
le
cerveau est divisé
Autres
occasions de voir la conscience comme une variable… : le cerveau
divisé
Opération consistant à sectionner complètement le
corps calleux, gros faisceaux de fibres nerveuses reliant les deux hémisphères
cérébraux, qui empêchait avec succès la propagation de crise d'épilepsie d’un
hémisphère à l'autre.
Ces individus au " cerveau divisé " ("
split-brain ", en anglais) retrouvaient alors une vie convenable et,
curieusement, ne montraient pratiquement pas de séquelles à la séparation de
leur cerveau dans la vie de tous les jours.
Mais en condition expérimentale où l’on pouvait
présenter certains stimuli à un seul des deux hémisphère, de troublantes
dissociations ont pu être observées :
quand le cerveau est divisé, il semble
que la conscience le soit aussi.
(voir
la capsule
"Gazzaniga described an example of flashing
a picture of a nude woman amidst a series of ordinary pictures to the left or
right hemisphere of a female patient. When the picture was shown to the left
hemisphere, the patient laughed and identified the picture. When it was shown
to her right hemisphere she said she saw nothing but she laughed. When asked
why she laughed, she said she did not know-"Oh, that funny machine."
Les expériences faites avec des patients à cerveau
divisé ont mis en évidence l’importance de ces histoires que nous nous racontons constamment pour maintenir une image
cohérente de nous-même et de nos actes. Si l’on demande à une personne au
cerveau divisé de nous expliquer pourquoi elle dit avoir vu une pomme mais
écrit de la main gauche qu’elle a vu une cuillère (voir la description de
l’expérience en question [lien]), cette personne, pour se sortir de l’embarras,
va inventer de toute pièce une réponse à laquelle elle croit réellement. Elle
se justifiera par exemple en disant qu’elle a vu une pomme, mais qu’elle a
besoin d’une cuillère pour manger une pomme.
*60
La conscience est modifiée par l’apprentissage
Une grande quantité d’information traitée
inconsciemment par le cerveau est donc disponible pour des processus
conscients.
Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que :
le passage entre
l’inconscient et le conscient peut aussi se faire dans l’autre sens,
c’est-à-dire du conscient vers l’insconscient, comme lors d’un apprentissage
moteur (apprendre à jouer au tennis,
à aller à vélo, à patiner )
au début tout est conscient
et laborieux, puis à mesure que l’on s’entraîne, tout devient automatique et
inconscient
Dans un tel processus d’automatisation
notre expérience consciente semble
s’appauvrir au fur et à mesure que nous
gagnons en expertise.
C’est le contraire qui semble se produire
quand nous nous appliquons à maîtriser
les distinctions qui caractérisent un domaine
particulier (l’œnologie ou la philosophie par exemple) : la conscience
semble au alors s’enrichir de contenus nouveaux
*61
va-et-vient
graduel et constant entre conscient et inconscient
Ce va-et-vient graduel entre conscient et
inconscient lors de l’apprentissage suggère que les représentations
correspondantes dépendent des mêmes processus neuraux.
Dans cette perspective, conscient et
inconscient représentent les extrémités d’un continuum plutôt que deux
systèmes distincts.
L’apprentissage, en modifiant la qualité des représentations concernées,
pourrait déterminer la probabilité pour un contenu mental donné de se retrouver
dans notre conscience subjective.
En retour, la prise de conscience ou l’attention joue elle-même un rôle
fondamental dans l’apprentissage, en amplifiant les représentations importantes
pour une action adéquate à un moment donné.
*62
La conscience correspond à un pic
De tout cela on peut déduire une autre propriété de
la conscience qui part de l’observation que
la qualité des
représentations est une variable continue.
certaines connaissances vont
échapper à notre contrôle conscient parce qu’elles sont trop faibles, et
d’autres parce qu’elle sont trop bien engrammées (marcher, conduire, manger…).
La conscience (ou sphère de
l’explicite) correspond donc à un pic entre deux domaines d’inconscient fort
différents :
celui où la qualité des représentations est trop faible
et pour accéder à la conscience
celui où cette qualité est très forte (très engrammée
dans la mémoire) et permet aux représentations de s’exprimer toute seules,
inconsciemment.
*63
Comme on vient de le voir par ces différents
exemples, il semble assez légitime de chercher des modèles de remplacement au
modèle classique du théâtre cartésien car celui-ci ne rend pas bien compte de
nombreux phénomènes…
Ce
qui nous amène à notre dernière section où je vais me contenter survoler mais
alors là vraiment juste survoler quelques uns de ces modèles…
1- le problème difficile
2- les approches philosophiques
3- les approches des sciences cognitives
4- les approches des neurosciences cognitives
a)
les failles du modèle classique
b) quelques modèles prometteurs
*64
…sans entrer dans les détails et sans soulever toutes
les questions et les problèmes que posent ces concepts et ces modèles…
Quelques
concepts et modèles prometteurs
beaucoup de modèles partagent
des concepts communs, d’où cette disposition décalée montrant des auteurs de
modèles avec, plus ou moins aligné, un concept utilisé par eux
(cette convergence serait, selon certain, un bon
signe annonciateur de l’avènement d’une théorie « mature »)
Baars Dehaene Dennett Crick et Koch Llinás Edelman Damasio Freeman Varela |
espace de travail
neuronal mémoire de travail versions multiples oscillations
neuronales synchronisée cartes et
assemblée de neurones oscillations thalamiques
non spécifiques boucles de
réentrée marqueurs
somatiques dynamique
non-linéaire énaction |
toutes ces théories assument que la conscience n’est
pas un épiphénomène et qu’elle joue un rôle fonctionnel
*65
L’espace de travail neuronal
Un des modèles les plus développés….
le cerveau
humain comprend plusieurs systèmes de traitement de l’information (reliés à la perception, à l’attention, au
langage, etc.) qui accomplissent chacun leur tâche à un niveau qui n’atteint
pas le seuil de la conscience
ces différents
sous-systèmes peuvent envoyer certains résultats de leurs opérations à un
« espace de travail neuronal » global. Quand ceux-ci s’expriment dans ce
forum, ils deviennent accessibles pour l’ensemble du cerveau.
l’espace de travail
neuronal postulé par Baars serait donc un lieu d’échange d’information.
D’autres sous-systèmes peuvent alors eux aussi profiter de cette information
disponible
*66
et ce serait
cette disponibilité qui constituerait la conscience, contrairement à l’information
traitée par les sous-systèmes qui demeure inconsciente
considère la conscience
comme une forme de mémoire de travail momentannée
rend compte de
l’interaction entre les processus conscients et inconscients observés dans
divers phénomènes
Baars (1988), Dehaene & Naccache (2001): La
conscience prend place dans un « espace de travail neural » pouvant mobiliser
des processeurs inconscients
*67
Comme exemple d’utilisation du concept
d’espace de travail neuronal, je vais vous montrer deux schémas tiré d’un
article de tiré de la revue Trends in Cognitive Sciences de mai 2006 et
intitulé :
Conscious,
preconscious, and subliminal processing: a testable Taxonomy
c’est
de :
Stanislas
Dehaene1,2, Jean-Pierre Changeux2,3, Lionel Naccache1, Je´ roˆme Sackur1 and
Claire Sergent1 et leurs collaborateurs
Et c’est paraît-il l’article qui est actuellement le
plus lu dans TICS
Conscious,
preconscious, and subliminal processing: a testable
Taxonomy
Stanislas
Dehaene1,2, Jean-Pierre Changeux2,3, Lionel Naccache1, Je´ roˆme Sackur1 and
Claire Sergent1
Trends
in Cognitive Sciences, mai 2006
On y distingue 3
niveaux différents de conscience (subliminal, préconscient et conscient) et
l’on suggère que ces 3 niveaux correspondent à 3 mécanismes neuronaux différents.
On y suggère aussi que la perception
consciente est systématiquement associée avec l’apparition d’une activité
pariéto-frontale responsable d’une amplification « top down »,
c’est-à-dire des aires associatives supérieures vers les aires sensorielles
primaires
*68
Figure 1. Proposed distinction between subliminal,
preconscious, and conscious processing. Three types of brain states are
schematically shown, jointly defined by bottom up stimulus strength (on the
vertical axis at left) and top-down attention (on the horizontal axis). Shades of color illustrate the amount of
activation in local areas, and small arrows the interactions among them. Large
arrows schematically illustrate the orientation of top-down attention to the
stimulus, or away from it (‘task-unrelated attention’).
*69
*70
Les versions multiples
Pour Daniel Dennett, la
conscience est affaire de célébrité dans le cerveau (« consciousness is about “fame in the brain.””)
à tout instant, des milliers
d’objets mentaux se forment et se défont dans l’ensemble du cerveau, entrant en
compétition darwinienne les uns avec les autres.
Le soi pourrait être considéré comme
émergent de ce conflit, dont il ne serait qu’un produit finalement fragile et
changeant, à l'intérieur de contraintes générales fixées par les gènes
À chaque instant, il y a
donc plusieurs états conscients posssibles, mais seulement un de ces
« multiples versions » connaît son heure de gloire et devient
célèbre, conscient, l’espace d’un instant
*71
Les
versions multiples (suite et fin)
Selon ce modèle, comme il n’y a pas de soi localisé
dans le cerveau, mais plutôt des assemblée de neurones distribuées partout dans
le cerveau, si je me pose la question « quand suis-je devenu conscient de
tel événement ? », la question ne peut avoir qu’une réponse vague
(aussi vague que plus ou moins un cinquième de seconde), et jamais une réponse
précise.
Selon le modèle des versions
multiple, il ne peut donc pas y avoir commencement précis dans le temps d’un
contenu de conscience (la perception d’un disque bleu, dans la figure ci-bas)
*72
Les assemblées de neurones
- autre concept présent dans plusieurs modèles :
Au moins deux considérations
théoriques suggèrent que le plus petit substrat neuronal pour une
représentation significative n’est pas le neurone unique mais plutôt
l’assemblée de neurones (plusieurs milliers dans une assemblée) :
- La mort neuronale est un phénomène quotidien dans le
cerveau, tandis que la soudaine disparition de connaissance survient seulement
quand une zone cérébrale contenant de grandes quantités de neurones est
endommagée
- Les capacités du cerveau pour emmagasiner des souvenirs
n’ont pas de limite définie
*73
Car différentes
représentations peuvent être engrammées dans des assemblées de neurone qui se
chevauchent (peut donner lieu à des activations en série, un état conscient en
appelant un autre, puis un autre…)
Les assemblées de neurone
sont donc considérées comme les unités fonctionnelles du cerveau
Les neurones participants à
une assemblée de neurone donnée peuvent être distribué à de grandes distances
dans le cerveau
*74
Les oscillations neuronales synchronisées
Pour Crick et
Koch, la clé des processus conscients se trouverait dans les oscillations
neuronales que l’on retrouve dans le cortex à des fréquences avoisinant les 40
Hertz (25 à 55 Hz).
C’est, selon
eux, la solution du « binding problem »
problème qui découle du fait que lorsque
nous voyons un chapeau par exemple, ses différentes caractéristiques sont
traitées à différents endroits dans le cortex visuel. Une aire particulière va
s’occuper de la couleur du chapeau, une autre de sa forme, une autre de sa
texture, une autre de sa localisation dans l’espace, etc.
Or qu’arrive-t-il lorsque l’on voit une
valise verte à côté du chapeau melon noir par exemple ? Nos aires visuelles de
la couleur enregistre le noir et le vert, celles de la forme un rectangle et
une forme cylindrique, celle de la location un objet à gauche et un objet à
droite, etc. Mais où les caractéristiques d’un même objet sont-elles mises
ensemble (comment se fait le « binding ») pour former la perception
consciente et cohérente que l’on a de cet objet ? Voilà qui pose problème.
les différentes
aires cérébrales correspondant à différentes caractéristiques d’un même objet
vont faire feu en même temps selon un rythme précis, qui sera différent de celui
des caractéristiques d’un autre objet dont les oscillations seront elles aussi
synchronisées, mais à un rythme différent.
Et c’est de la
synchronisation temporelle de ce rythme que naîtrait l’unité perceptuelle
consciente.
Freeman souscrit aussi à
l’idée qu’en synchronisant ainsi momentanément différentes régions du cortex,
le cerveau pourrait regrouper différents ensembles neuronaux dispersés en un
seul ensemble fonctionnel.
*75
Les oscillations thalamiques non
spécifiques
Le model de Llinás a ceci de particulier qu’il met
l’accent sur une forme de synchronisation neuronale globale, qui pourrait
s’avérer essentielle pour déterminer quelle perception devient consciente
C’est le thalamus, une structure comportant plusieurs
sous-régions reliées au cortex, qui serait responsable de ce mécanisme de
synchronisation globale en agissant un peu comme le chef d’orchestre d’une
symphonie corticale qui permettrait de lier différentes propriétés d’un percept
en un objet unique
On parle souvent de « boucles
thalamo-corticales » pour désigner ces interactions constantes entre le
thalamus et le cortex
Donc la
métaphore ici est bien différente d’un « siège de la conscience »
puisque dans un orchestre, le chef (ici le thalamus) impose un rythme, mais ce
sont tout de même les musiciens qui jouent la musique (les différents circuits
spécialisés du cerveau)…
*76
Selon Llinás le thalamus déclenche des oscillations
corticales qui balaient le cerveau de l’avant à l’arrière en 25 millisecondes,
soit 40 fois par seconde (40 Hz).
Donc en plus des oscillations corticales pouvant lier
ensemble les différents aspects d’un percept, il y aurait ce second type de
synchronie entre une assemblée donnée et cette oscillation générale non
spécifique (l’assemblée qui devient consciente étant celle qui est en phase
avec l’oscillation non-spécifique)
*77
Les boucles de réentrée
Le résultat de
ce « darwinisme neuronal » évoqué plus haut est, selon Edelman, un
système de « cartes neuronales », chacune responsable de nos
différentes possibilités perceptuelles.
Quand le cerveau
reçoit une nouvelle stimulation, plusieurs cartes vont être activées et vont
s’envoyer des signaux mutuels.
C’est ce pattern
d’interconnexion entre différentes cartes neurales qu’Edelman appelle les
« boucles de réentrée»
Ces boucles de
réentrée continuent d’évoluer avec l’expérience, et les réactions aux stimuli
suivants s’en trouvent donc également modifiées.
*78
Edelman considère
ces structures évolutives que sont les boucles de réentrée comme la base de nos
processus de conscience.
durant la vie d’un individu, les
contenus de conscience dépendant en grande partie de la sélection par
l’expérience peuvent se modifier plus ou moins complètement.
ce « noyau dynamique »
n’est donc pas une structure anatomique permanente, mais un pattern d’activité
éphémère présent à différents endroit dans le cortex à différents moments
*79
Les marqueurs somatiques
Damasio propose un modèle faisant
appel à des cartographies et réseaux de neurones superposés : le
proto-soi, le soi-central, le soi autobiographique et finalement la conscience
étendue.
Comment le cerveau se représente le
« soi » et comme cette représentation de soi contribue à l’exprérience
consciente sont deux questions au centre du modèle de Damasio
Il défend l’idée que
nos pensées conscientes dépendent substantiellement de nos perceptions viscérales
*80
Les marqueurs somatiques (suite et fin)
Pour lui, nos
décisions n’implique pas seulement des raisonnements abstraits, mais aussi le
constant monitoring d’une boucle affective au sein de laquelle le cerveau et le
corps se répondent (par le système nerveux autonome, le système endocrinien,
etc.)
Son concept de
marqueur somatique est la façon dont le monde les perceptions du monde
extérieur interagissent avec les émotions du monde intérieur
Pour lui, la
conscience se construit à l’écoute du milieu somatique intérieur, et ce
monitoring a évolué parce que ça nous permet d’utiliser ces états somatiques
pour marquer, ou si l’on veut, évaluer, les perceptions extérieures.
*81
La dynamique non-linéaire
Freeman fait appel aux mathématiques de la dynamique
non-linéaire pour interpréter les oscillations neuronales observées.
Ces patterns d’oscillation sont identifiés comme la
manifestation du chaos, donnant l'impression d'être du bruit, mais cachant un
ordre sous-jacent et la capacité de changements rapides et étendus, comme ceux
de la pensée humaine.
Le cerveau répond au changement du monde en
déstabilisant ses cortex sensoriels primaires. Ainsi se construisent des
patterns d'activité neurale constituant une nouvelle signification.
La conscience, en terme de dynamique, est un opérateur
qui module les dynamiques cérébrales dont ont découlé les actions passées.
Résidant nulle part et partout, elle reforme les contenus qui sont fournis
par les différentes parties du cerveau.
*82
En guise de conclusion, je dirai
simplement que…
Si
conscience et cerveau font aujourd'hui bon ménage, il n’en a pas toujours été
ainsi comme on l’a vu.
Le
nombre de livres publiés par des philosophes, psychologues, neurobiologistes,
physiciens ou mathématiciens (et j'en passe), le nombre de colloques ou de
numéros spéciaux de revues consacrés aux relations entre cerveau et conscience
est simplement confondant. Cet engouement des 15 dernières années environ
vient, pour une grande part, des recherches en neurosciences sur le cerveau
lui-même.
*83
Et je vous laisse avec cette citation de John Searle à propos du Journal of Consciousness
Studies que j’ai laissée en anglais…
"You guys have a marvelous magazine. You publish a lot of things
that would not be published in routine philosophical and scientific journals,
and that seems to me exactly right at our present state of the investigation of
consciousness. We don't know how it works and we need to try all kinds of
different ideas.“
… mais que je peux essayer de vous traduire:
Il dit donc au gens du
Journal of consciousness: « Vous faites un magazine merveilleux. Vous
publiez beaucoup de choses qui ne seraient pas publiées dans des journaux
philosophiques ou scientifiques plus classiques, et ça me semble exactement ce
qu’il faut faire dans l’état actuel de nos connaissances sur
Fin.